On dirait bien que l’Écosse a trouvé son Gran Torino... Je vais un peu loin mais la comparaison est tentante. Tyrannosaur est un film fort, violent. C'est une plongée sans complaisance dans un Glasgow parallèle, où les âmes sont liées par la souffrance. Le veuf alcoolique, le gosse livré à lui-même, la femme maltraitée qui se cache derrière son sourire, il n'y a pas de hiérarchie quand il s'agit de douleur. Je pense qu'il faut être préparé quand on va voir ce genre de film : on va voir quelque chose de cathartique, où rien ne nous est épargné. Le réalisateur, Paddy Considine, sait tantôt suggérer, tantôt montrer. Mais qu'il nous montre une violence latente ou réelle, l'ambiance reste intacte, poignante. Si ce parcours au cœur des secrets et des blessures des personnages est si fort, c'est sûrement déjà parce que les acteurs sont stupéfiants. Peter Mullan et Olivia Colman forment un duo exceptionnel, c'est tellement agréable au cinéma de voir des vrais visages et pas des apparences. Joseph et Hannah, voilà des vrais personnages, qui semblent exister pour eux mêmes et pas juste pour le film, des personnages dont les visages racontent une histoire. Eddie Marsan, qui joue le mari violent, livre une prestation parfaitement troublante : son personnage est effrayant. Je crois que j'avais rarement trouvé un sourire, un regard, et une présence aussi malsains dans un film qui n'a pas vocation à épouvanter. On m'avait dit que Tyrannosaur n'était pas à voir « pour son coup de caméra », me le présentant comme un film à la réalisation plate. Heureusement que j'ai pu me faire mon propre avis ! Car j'ai trouvé la caméra très habile. Considine a réussit à capter et à nous retransmettre les émotions grâce à ses nombreux (et très beaux) gros plans progressifs. Il joue aussi beaucoup sur le passage du flou au net, en effectuant des mises au point qui donnent l'impression de voir plusieurs versions d'une même réalité, et c'est au passage un plaisir pour les yeux car il n'en abuse jamais. La photographie est sombre, contrastée et assez grise, elle représente bien la souffrance. Et le fond, l'histoire, les dialogues ? Je pense que ça passe ou ça casse. Certains diront sûrement qu'on en fait trop, que l'on va trop loin dans la noirceur, et qu'en plus Considine semble tolérer l'idée de vengeance selon laquelle « la violence ne se règle que par la violence ». Pour le dernier point, peut-être (mais je me fous pas mal de l'avis du réalisateur sur la revanche, j'ai déjà le mien), pour le reste, je ne suis pas d'accord. C'est vrai que, comme je l'ai dit plus haut, rien ne nous est épargné. Mais c'est assumé : on est là pour voir de la rage, pour voir des êtres torturés. Et quand il s'agit de montrer le mal-être, le film excelle. Les dialogues sont percutants et désabusés, ce qui vient épauler l'interprétation transcendante des acteurs. Parfois on se dit que l'on a un côté pervers à assister à de telles scènes du fond de notre siège. Et je crois en fait que Tyrannosaur fait partie de ces films qui répondent à nos instincts les plus voyeurs et masos... Cela peut déranger, moi c'est exactement ce dont j'ai envie ces derniers temps. C'est en ça que je trouve le film cathartique : on se purge en allant le voir. Bon je conclue. Derrière toute cette noirceur, la relation qui se noue entre Hannah et Joseph est intense et touchante, elle semble toujours être sur un fil prêt à céder. La fin est belle, et la dernière image, où Joseph marche seul au milieu de l'allée, achève le film sur une note d'espoir qui ne fait pas de mal mais ne sonne pas en happy-end dénuée de sens... Chapeau.