Quoiqu'il s'en défende avec une retenue bien compréhensible car c'est involontaire, Lucas Belvaux vient de réaliser ici une œuvre annonciatrice des futurs films interactifs.
Dès le générique et pendant longtemps, il ne se passe rien. Yvan Attal se tait avec une justesse de ton océanique qui nous laisse sans voix.
Soudain, il parle à son amante endormie qu'il n'ose réveiller tellement elle est belle. On regrette qu'il ne se taise car on aimerait profiter en silence de cette jeune beauté avant qu'on ne l'arrache au sommeil, si fraiche et si confiante, si pure et si fragile que le regard suffit à s'en remplir le cœur, le souffle retenu et les lèvres entrouvertes, pour que pas même un souffle, ne serait-ce sur l'écran, ne vienne la perturber, de peur qu'un froncement infime ne ride la peau de gourmandise offerte qu'abandonne à nos rêves l'envoûtante Sophie Quinton.
Mais non, lui, il faut qu'il parle, juste à cet instant, le rabat-joie !
Sa voix monocorde n'est qu'un bruit blanc à peine plus dérangeant que celui d'un crachin normand, bien moins intéressant que le roulement des galets sur les plages du Havre lorsque la mer est étale, mais ça suffit pour nous sortir de notre torpeur romantique. On se souvient alors qu'il aurait dû se passer quelque chose depuis le temps. Après tout, on est au cinéma, pas à devant un verre d'eau à chercher la tempête annoncée.
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Ah ! Quel beau film c'eut été sans la moindre parole. Pas un film muet, non, de la vraie vie aux lèvres closes. Celle des voisins qu'on ignore, des passants qu'on dépasse sans les voir, de tous ceux près de nous qui trépassent, délaissés et soumis, dans le cœur glacé des villes où règne la paix et l'ordre.
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Munissez-vous de bouchons d'oreille ou mieux encore, écoutez la bande-son de Le Cours des Choses*, qui, à bien y réfléchir, est un pendant assez joyeux à ce film.
Fermez les yeux chaque fois qu'un personnage parle car ça le défigure et il perd en présence. (Demandez à votre voisin moins audacieux de vous donner un coup de coude pour prévenir quand les rouvrir. En plus, ça vous fera rencontrer du monde, c'est formidable !)
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Et là, dégustez. Dégustez en avant-première et sans l'accord du réalisateur l'avenir du cinéma. Celui dont vous êtes co-auteur, co-acteur, dont vous êtes le spect-acteur. Celui qu'on arrête de consommer pour le vivre, pour l'habiter réellement, en acceptant d'être dérangé par soi-même, de participer volontairement à ses bouleversements intérieurs, parce que ces secousses salutaires sont peut-être la seule raison d'être de l'art et sa grande différence avec l'industrie.
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Pégéo, un jour que j'avais fait peur à mon psy.
* Le Cours des Choses, des géniaux Peter Filchi et David Weiss,
1987, T&C Film, avec Zack Poubelle et Mat Lamousse dans leurs propres rôles.