Le Havre. Impossible de rater ces immenses paquebots qui débarquent chaque jour dans l'espace portuaire. Inévitables, ils le sont, impressionnants aussi. Tout aussi impressionnants que ce crime ayant eu lieu en pleine nuit dans une rue d'un quartier réputé tranquille. Pourtant, l'inévitable semble être devenu évitable, et personne parmi tout le voisinnage n'a vu ou entendu quelque chose. C'est dans ce quartier sous le choc et voué au silence que Louise rentre le matin du drame, revenue d'un voyage en Chine.
Commence alors l'ambiance post-drame, entre paranoïa, cauchemars et enquête policière, personne ne semble pouvoir expliquer l'inexplicable. Suivront un enchaînement de séquences où les thèmes du remord, de la lâcheté et de la conséquence de nos actes prendront une part prépondérante dans le discours filmique. Après un démarrage assez lent mais toutefois prometteur, le film tombe dans un enlisement de jugements et d'exagérations qui finissent, à mon sens, par le rendre indigeste.
La première chose qui choc est cette continuité dialoguée, toujours dans la surenchère et qui déforme les émotions pour leur enlever toute crédibilité. Cette situation est plus surprenante encore avec le personnage d'Yvan Attal (Pierre). Tapis dans sa terreur, dans sa honte, on pourrait s'attendre à découvrir un personnage à la fois mystérieux, retranché sur lui-même et peu expressif. Ce qui serait la suite logique d'un tel évènement. Au contraire, il est l'un des personnages qui étaye le plus ses pensées, qui les livre comme on commanderait une baguette de pain. Que ce soit dans le phrasé même ou dans les intonnations, il en perd toute profondeur et toute empathie.
Il en sera de même pour la direction des acteurs dans leur globalité, au point qu'on fini par se demander quel est le but de cette exagération théâtrale. Cela enlève tout intérêt de notre part, aussi mince fût-il, après quelques minutes. Pourtant, certaines idées esthétiques ne sont pas mauvaises, certains plans se révèlent même intéressants, tout comme l'importance accordé aux sons est agréable. La transformation de la victime en une espèce de sanctuaire de la honte, porté vers l'inconnu et condamné à disparaître, a aussi des atouts certains. Malheureusement, à côté de ça, nous avons un discours assez grossier, qui, tant dans la forme que dans le fond, devient de plus en plus détestable.
Je comprends le souhait de vouloir pointer du doigt la " lâcheté humaine ". Et l'idée de partir d'un meurtre en ne se concentrant pas sur la victime ou sur le meurtrier est plutôt rafraîchissante. Cependant, le thème aurait mérité d'être traité avec plus de finesse, et à la place d'être poussé dans l'irréalisme, rester crédible pour s'avérer marquant. Le problème majeur se dévoile dans les dernières minutes du long-métrage, puisqu'on se rend compte qu'on n'est pas ici pour essayer de comprendre cette lâcheté, mais qu'on veut la juger. Le réalisateur veut inclure le spectateur dans sa subjectivité et enlève toute place à la réflexion, pour livrer un message banal et méprisant.
L'idée du double-regard intrige, au départ, mais ici il se transforme en un regard unique, celui du réalisateur, qui s'enfonce toujours plus dans la condamnation précipitée et dérangeante (cf vingt dernières minutes). Il ne reste donc de ce 38 témoins qu'un amer goût d'être pris pour un pantin, que ce soit dans le partage d'émotions (grossier) et dans le message global (grossier). Rien ne vient sauver le travail de Lucas Belveaux, qui disparaîtra bientôt sous la surface de l'eau, à la manière d'un certain paquebot...