Quand je reviens à la vie civilisée après m'être passée de cinoche pendant un mois, j'ai l'impression qu'il n'y a eu que du bon pendant mon absence, qu'il y a eu dix films que je n'arriverai pas à rattraper. Il me semble qu'en mars 2012, c'est un peu du vrai: il y a eu beaucoup de bonnes sorties.
Pour moi, Lucas Belvaux est un des meilleurs réalisateurs français actuels. Tabernacle! il est belge.... ça m'étonne pas..... Sa trilogie Cavale / Après la vie / Un couple épatant était une des choses les plus fortes et les plus originales de la dernière décennie. Il sait comme personne gratter derrière les apparences de la vie quotidienne. On ne sait jamais vraiment QUI est l'autre.
Le Havre, ville portuaire. La ville-modèle-de-reconstruction-fonctionnelle. Haïe par certains architectes, encensée par d'autres. Une jeune fille est assassinée, la nuit, dans une rue du centre ville, attaquée quand elle attachait son vélo, poignardée -puis massacrée dans son couloir d'immeuble. Ses hurlements ont déchiré la nuit -que nous n'entendrons qu'à la fin du film, au cours de la reconstitution. Un premier long cri, au moment de l'agression, puis d'autres cris horribles dans le couloir. Mais personne n'a rien vu. Si: un des habitants (Patrick Descamps) a entendu du bruit (premier cri), il est allé à sa fenêtre, a aperçu deux silhouettes, en a conclu a une querelle d'ivrogne, a braillé "vos gueules", et est allé se recoucher.
Tout est en ordre. Aux ilots d'immeubles, faits au carré, tracés au cordeau, de la ville répondent les piles, faites au carré, tracées au cordeau, des containers sur le port. Là dedans le meurtre, le sang, représentent le désordre improbable, impossible.
Pourtant, un des habitants, Pierre, (Yvan Attal), est rongé par le remords. Il est pilote sur le port: sur un petit remorqueur, tout en moteur de puissance, il s'arrime aux énormes porte-containers pour les ramener à quai, les deux remorqueurs comme deux chimpanzés accrochés aux oreilles d'un éléphant pour le manipuler. Il parle d'abord à sa femme (Sophie Quinton), tout juste rentrée de voyage, qui lui conseille d'oublier. Il sait que, si quelqu'un était intervenu dès les premiers cris, la jeune fille aurait été sauvée, et décide de témoigner. L'enquête montre que trente huit personnes ont entendu les cris -sans bouger. Le procureur décide de ne pas poursuivre "une personne qui ne dénonce pas un meurtre, c'est un salopard; trente huit personnes, c'est Monsieur tout-le-monde. Que prouvera t-on? Que 25 % d'entre eux étaient abrutis par des neuroleptiques et les autres des lâches?" Didier Sandre dit cela avec son air de mépris distingué qui lui va si bien..... Mais la journaliste du Havre libre (Nicole Garcia), et surtout le capitaine chargé de l'enquête (François Feroléto) ne supportent pas que l'affaire soit étouffée -et elle éclate. Pierre est désormais le mouton noir; sa femme le quitte et le quartier ne veut plus de lui.
Belle histoire, tirée d'un fait divers, exemplaire, qui donne à réfléchir sur la lâcheté au quotidien -notre lâcheté à tous, même si elle est ici poussée à l'extrême. La ville est filmée magnifiquement, l'agitation frénétique du port, la nuit, répondant au calme extrême de ces rues résidentielles où il ne peut rien se passer...
Beau film de société, film passionnant, presque parfait, (je trouverais, peut être, qu'Yvan Attal en fait beaucoup dans le genre: visage fermé, oeil regardant dans le passé de la conscience?) Mais j'ai l'impression qu'il n'a pas extraordinairement marché, et ça me navre!