Vous savez, les films d'horreurs, dans la plupart des cas, ça marche durant l'enfance. On est terrorisé, traumatisés, au point de ne plus vouloir jamais s'approcher d'un tel film, mais on reste irrépressiblement attiré par la peur...Puis vient l’adolescence, où peu à peu on sent la peur se retirer. D'abord cela réjouit, puis on la considère de plus en plus comme un type d'émotion rare, on essaye à tout prix de la retenir si on est un cinéphile cinglé comme moi, on la cherche encore et encore, en ayant conscience que désormais il faut nous trimbaler un lourd cahier des charges pour espérer sentir quelques frissons (outre la qualité du film, il faut se mettre dans l'ambiance, choisir le bon contexte, surtout enfermer son cynisme au placard...). Même si on réussit notre séance d'épouvante, on sait qu'on ne pourra plus ressentir cette délicieuse oppression, ces ténèbres qui nous poursuivent jusque dans notre lit, que la puissance horrifique ne nous obligera pas contre notre gré à nous plaquer les mains sur les yeux pour entrouvrir légèrement les doigts...Bref on regrette, c'était sacrément cool de ressentir des sensations aussi brutales devant un film, et c'est pour ça que les djeunz font les malins, la plupart du temps. Cependant il y a...Evil Dead. Le petit premier du génial réalisateur Sam Raimi, l'homme aux comics, dont le plus réussi reste à mes yeux Mort sur le Grill qui enterre à lui seul toute la trilogie Spider Man. C'est en tant qu'étudiant qu'il tente ce coup d'essai, prenant d'énormes risques surtout grâce à son ami Bruce Campbell à qui Evil Dead doit beaucoup. Tout d'abord pour son implication pour l'aide au tournage, ensuite pour sa performance décoiffante en Ash, le héros. La deuxième partie du film n'existe que pour lui, par son travail phénoménal suite à l'abandon des autres acteurs. Son personnage met en évidence la nature bancale d'Evil Dead : contrairement aux œuvres de Carpenters et autres Exorcistes, Zombies et Shining, l'aspect psychologique qui détonne le plus n'est pas l'élaboration d'un thème tragique plus menaçant que les monstres eux-mêmes, mais un comique délirant qui ne cesse d'affirmer l'amour du cradingue et du gore ! Evil Dead ne se prend pas au sérieux, Evil Dead se veut diablement rigolo, mais son efficacité en matière de pétoche est tellement dévastatrice qu'on tremble plus que l'on rit...ce qui m'étonne c'est qu'on flippe d'autant plus en notant ce second degré qui nous nargue presque. Tout le monde s'en donne à cœur joie : les maquilleurs, les techniciens, les prothésistes...le sang dégouline copieusement, les créatures putréfiées irregardables bavent en subissant tout les traitements viscéraux possible et imaginables, les acteurs sont hurlent dans d'atroces souffrances...cette affection pour ces débordements hystériques sanguinolents est tellement palpables qu'on déprime à moitié caché sous les couvertures (mais bon sang les gars vous abusez arreeeetez pitié!). Mais cet humour assumé côtoie des rebondissements plus dramatiques, plus subtils, plus mélancoliques, qui contribuent à hisser Evil Dead au sommet de l'expérience horrifique. Les points faibles qu'on peut lui trouver se changent en avantages dans un cas comme celui-ci : scénario pas compliqué et peu original, justement c'est avec les recettes les plus simples qu'on crée les meilleurs plats, dialogues peu élaborés mais si cela avait été le cas ils auraient gâchés toute la sensorialité du visionnage, quelques clichés pas encore si fréquents à l'époque qui sont transcendés par la vision unique de Sam Raimi qui les considère avec tendresse et les met en scène avec un talent sans précédent. Car Evil Dead est filmé d'une manière redoutable, avec une maestria si grandiose qu'on oublie le budget ridicule et les effets spéciaux datés (mais si gouleyants...). Les plans superbement tracés s'enchaînent à la perfection, la caméra prend des positions atypiques mais toujours pertinente (contrairement à un certain Brian De Palma), c'est du grand art que l'on retrouve à son acmé dans Mort ou Vif (décidément). La musique tient franchement bien la route, les thèmes très sympathiques s'inscrivent à merveille dans cette odieuse ambiance, et les notes enjouées du générique de fin préparent déjà la suite très orienté parodie, ainsi qu'un héritage monstrueux qui se développe aujourd'hui avec grand succès (Shaun of the Dead, Zombieland, Tuker&Dale). Bien entendu cette association zombie-rigolade délirante si prépondérante actuellement n'est qu'une partie de l'influence Evil Dead 1, car il appartient à la trempe de ces films qui marquent plusieurs générations et lancent des tonnes de productions sur la même longueur d'onde qui n'arrivent pas à la cheville de l'original. Mais contrairement à d'autres films d'horreurs cultes, chacun vénérés pour une raison qui leur est particulière qui désormais passe plutôt comme un intérêt intellectuel et pulsionnel, l'expérience horrifique étant très diminué avec le temps, Evil Dead m'a traumatisé comme aucun film d'horreur récent ou classé chef d’œuvre n'a jamais réussi à le faire du haut de mes 18 ans. J'ai envie de dire chapeau, et aussi de dire que je ne retoucherai pas de sitôt à ce blu ray maudit !