Sam Raimi n'a que 20 ans lorsqu'il s'essaie à la réalisation avec son premier film, Evil Dead. Date importante dans l'histoire du cinéma de genre : le metteur en scène, alors inexpérimenté et sans budget, annonce les prémices d'une carrière qui influencera énormément l'horreur comique des années 80-début 90 et lancera en trombe le genre super-héroïque au cinéma, avec ses prodigieux Spider-Man (les deux premiers).
Mais ses débuts, plus expérimentaux qu'autre chose, servent surtout de prise de température : il s'essaie à tellement de choses qu'on pourrait se dire qu'on va peiner pour isoler son style du grand n'importe quoi. Et paradoxalement, on sent déjà la patte de l'artiste, qui construit dès ici la sève de sa personnalité : les plans larges filant à toute vitesse vers un point particulier qui les transforme en gros plans, les optiques déformées assenant à l'oeuvre une esthétique kitsch et dépassée, et l'outrance constante avec pour supplément un manque de moyens poussant au système D le plus inventif.
Le lait craché par les démons, leur maquillage à deux balles digne de La Nuit des morts-vivants de Romero, le sang en giclées plus proche du sirop d’érable pas bien épais que de la vraie hémoglobine, lui confèrent des relents de série z, de film bis extrêmement généreux au charme irrésistible : dans un excès fou auquel il sera difficile de trouver des équivalences cinématographiques (à la même époque du moins, Jackson n'avait pas encore pointé le bout de son art), Evil Dead se différencie aisément de la concurrence en recherchant les retranchements du genre pour mieux les caricaturer.
Conscient de sa nullité, il regroupe en un film tous les plus gros clichés du cinéma horrifique et gore, visant en priorité les slashers alors en pleine éclosion : à la différence que le tueur sadique est un démon insaisissable, il en reproduit la plupart des codes jusqu'à les parodier avec une sincérité folle. Visiblement passionné par le genre et par ce qu'il fait, Raimi construit son oeuvre comme un hommage à tous les films bis qui firent, un temps durant, les grandes heures de la location de VHS et des soirées d'horreur entre collègues.
C'est qu'il leur donne du pain béni, à ces amateurs de films décalés aux codes qui virent stéréotypés : sang qui gicle comme tiré au karcher, personnages à la stupidité sans égal, comportement dénue de toute logique, scénario bordélique et dialogues à trancher la gorge de celui qui les rédigea, tout est bon pour passer la meilleure soirée possible à se poiler la gueule avec la bande de potes adéquate, renvoyant à cette fantastique critique qui vous développera la chose mieux que je ne peux le faire.
De son ton décalé, retenons cependant que la conscience de faire quelque chose de mauvais ne le rend pas forcément meilleur : certes fantastique à voir à plusieurs, Evil Dead perd une partie de son intérêt quand on lui consacre du temps seul ou dans une optique autre que celle de prendre son pied en rigolant devant la nullité de l'ensemble. En sortant du cadre du délire geek sans aucun propos (ne cherchez pas de réflexion, il n'y en a, et c'est tout à fait cohérent avec son principe, aucun trace), comment considérer cette série z volontaire?
Comme un premier coup réussi, venu d'un réalisateur qui se cherche encore et n'a pas non plus trouvé les acteurs adéquats : la plupart du temps faux, ils sont à peine relevés par la présence en demi-teinte de Bruce Campbell, loin du jeu génial dont il fera preuve par la suite. A ce titre, leurs personnages ne les inspireront pas pour devenir crédibles; clichés comme on pouvait s'y attendre, ils servent plus en tant que zombies qu'en victimes apeurées.
Et Raimi, avec son style généreusement z, exploite parfaitement leur manque de talent, sa mise en scène délirante trouvant son visage fétiche en la personne de Bruce Campbell, absolument brillant dans son interprétation pleine d'excès et de ratés hilarants. La collaboration, à la fois amicale et professionnelle, est enfin lancée; avec elle les succès futurs d'une carrière gigantesque : les deux Evil Dead suivants, puis ses apparitions dans Spider-man et Darkman (entre autres) marqueront l'imaginaire collectif au point de rendre les deux compères indissociables.
Tout aussi vrai qu'aucun n'existerait sans l'autre, ils partagent de fait leur évolution : Campbell et Raimi tentant autant de bonnes que de choses douteuses, suivent la même direction à leur premier essai de long-métrage, direction faîte d'un ensemble de tests prometteurs pour la suite de leurs carrières respectives, et portée vers la même finalité : l'autodérision comme moyen de création, qui installera par la suite une nouvelle manière de faire de l'horreur (et du cinéma de genre en général).
Un délire conscient de ses codes cinématographiques qui en joue pour faire rire la galerie, et lui proposer ce qu'elle recherche le plus dans le cinéma de genre : la générosité, la sincérité d'une équipe passionnée par ce qu'elle fait, et investie de la mission de perpétuer un héritage artistique d'outrance, de codes bien précis portés sur les interdits qui conduisent à la punition (ici, le sexe), et d'une pluie de sang qui vire à l'ouragan de rires.
La conscience de faire quelque chose de mauvais en le faisant très bien trouve sa logique dans la quête de personnalité de ces deux stars en devenir au talent déjà prévisible, talent qu'il suffira de canaliser pour l'exploiter au maximum de ce qu'il offre comme ressources.
Il suffira d'attendre six ans pour cela, et l'arrivée fracassante d'un second volet poussant encore plus loin la démarche, au point de partir dans un délire imprévisible et jouissif. La machine est en marche, au duo de changer le visage du cinéma de genre.