Yann, tête brûlée et crème de la crème, fonce crâne baissé, cherche sa place. Sa fougue séduit, même la belle Nadia, serveuse d'un resto chicos dont il vient d'être éconduit suite à une demande d'embauche pleine d'entrain, pourtant. Dès lors, la machine s'emballe; le couple se forme et cherche à en donner une à leur rêve, celui d'une vie meilleure, d'un avenir à reconstruire pour le fils de la charmante libanaise, Slimane. Ils rachètent une vieille baraque qu'ils retapent pour en faire le havre de leur retrait hors de la furie citadine. Seulement, pour y parvenir, Yann, casse-cou et impatient devant l'éternel, multiplie les crédits, et comme tout ne va pas comme sur des roulettes, finit par s'endetter... Dès lors, le film glisse vers un terrain autre, celui de la description de la misère et de l'engrenage qui rend toute escapade impossible, si ce n'est par un déplacement hors du vieux continent, vers un Canada fantasmé que Nadia finit par rejoindre, laissant son fils derrière elle. Avant de ne plus donner de nouvelles, laissant les deux amours de sa vie seuls face à leur détresse, destinés à s'apprivoiser l'un l'autre, pour paraphraser les propos du réalisateur lui-même, avouant que son film imbrique deux histoires l'une dans l'autre.
Celle, initialement basée sur un roman dont il se détourne vite, narre les affres du système des crédits à la consommation, piège inextricable et à la limite de l'inexplicable, pour qui n'est pas dans les arcanes du système. Car l'ennemi dans le film a ceci de vicieux qu'il est partout et nulle part à la fois: il s'agit de la machine à endetter, irréversiblement, dont le banquier, la représentante des associations et même le vendeur à qui Yann ramène une paire de basket volée par son fils par la force des choses, sont autant de maillons de indémaillable chaîne. Nul n'est à blâmer, et pourtant, personne ne peut rien, ce qui présente une situation anxiogène aussi convaincante qu'étouffante, quitte à légèrement abuser de détails misérabilistes, et à adopter envers certains personnages, tel ce petit mafieux moderne, une approche un poil manichéenne.
Le deuxième film dans le film, serait celui de la reconstruction de Yann et de Slimane l'un avec l'autre, et l'un par l'autre. Or, le propos est ici moins convaincant, car, d'une part, en guise de reconstruction, on a surtout l'impression d'assister à l'émiettement de la force combattive de Yann, la rage de con-vaincre laissant place à l'instinct de survie de la bête acculée. Car, comme dans les films des Dardenne, avec lesquels Une Vie Meilleure présente de nombreuses similarités, les personnages sont par leur mouvement, leur action et leur refus de l'inertie et de la fatalité de leur condition. Là où le Gamin au Vélo montrait avec ferveur que la re-création de lien familial ne passait pas nécessairement par le lien de sang, le film de Cédric Kahn se montre un peu moins convaincant sur ce terrain-là, la faute à une narration un peu trop imprécise, multipliant l'anecdotique semi-improvisé et l'ellipse, là où l'explication eût pu être intéressante. Néanmoins, comme les cinéastes belges, Kahn maintient son film à flot grâce à une énergie et une direction d'acteurs sans faille, et grâce à un sens de la retenue dans la mise en scène -les rares incursions de musique n'apparaissent que sur la fin du métrage.
En bref, voilà un film qui montre avec véracité les méfaits de l'appauvrissement moderne, dans une société régies par des règles de plus en plus absurdes et inégalitaires, où seuls les plus riches parviennent invariablement à s'enrichir, tandis que les autres sont condamnés à se résigner à leur condition, ou à quitter le pays pour recommencer, ailleurs. On soulignera la bonne prestation générale, et la sobriété de la mise en scène, qui, quoique légère, évite de dégouliner de pathos.