Cette fois-ci, je trouve que la recette Anderson ne prend plus. Tous les éléments sont là. Le ton entre burlesque, mélancolie et candeur, la méticulosité esthétique qui tend à créer à un monde vernissé, comme celui d'un imaginaire directement accessible, sont évidemment respectés. L'obsession d'Anderson pour les micro-drames aussi, à travers ce nouveau parallèle décalé entre la banalité effective d'une intrigue (la fugue de deux adolescents) et une image cinématographique autrement plus grande (ici, une quête libertaire qui joue tour à tour des codes du western et du film-catastrophe), qui parait vouloir laisser entrevoir avec modestie la force réelle de ce qui anime même les personnages les plus apparemment petits, la grandeur des sentiments et des aspirations du plus humble d'entre nous. Cette fois, je trouve pourtant que tout ceci tourne complètement à vide, la plupart du temps incapable de dépasser le statut de posture. La critique des Cahiers parle de l'autisme du film comme de sa source profonde de vérité, comme ce qui en fait un vrai film, souhaitant remettre en place cette sensibilité propre et pas seulement une somme de manies visuelles apprêtées et récitées pour former un cachet poétique vain et artificiel. Le problème d'une telle démarche, qui est probablement en effet celle du réalisateur, est bien que l'autisme est par définition même une difficulté à (se) communiquer, et qu'il est donc pour le moins incertain que le spectateur puisse se réapproprier un univers à ce point auto-centré. "Poems don't always have to rhyme, you know. They're just supposed to be creative" fait d'ailleurs dire Anderson au garçon qui forme la moitié du couple central de son film. La phrase, qui sonne comme un credo, une mantra, a cela d'involontairement ironique qu'elle oublie le même élément essentiel au lyrisme que le fait l'univers d'Anderson : tout créatif qu'il soit, un élément n'est poétique que si il a une prise sur le réel, qu'il donne accès à une de ses réalités cachées, inintelligible par le seul langage et ses nécessaires redondances. C'est pourquoi les trop nombreuses séquences où Anderson met en scène son couple d'enfants justement comme un simple couple d'enfants (bien qu'il soit marginal) ne m'ont pas touché pour un sou. Au contraire, Moonrise Kingdom m'a beaucoup plus plu quand, à rebours de ce que fait le réalisateur d'ordinaire, à savoir mettre à nu les parts enfantines de ses personnages, il ébauche, esquisse au sens artistique du terme les parts de désirs adultes qui commencent, bien que toujours très innocemment, à envahir ses deux personnages. Parce que les enfants veulent grandir trop vite et que leurs parents aimeraient au contraire retrouver cette vitalité propre au jeune âge et impossible à formuler correctement (précisément parce qu'on l'a tous perdue, justement), Moonrise Kingdom atteint brièvement, dans sa partie médiane, une forme de poésie suspendue qui quant à elle parvient justement à me toucher. Malheureusement, le film retombe par la suite dans les pièges de son univers, une recherche esthétique et imagée trop préoccupée d'elle-même et de sa cohérence générale pour laisser aller son intrigue à plus de libertés narratives, plus d'évolution chez ses personnages et plus de profondeur émotionnelle. Aujourd'hui en huit clos, l'univers a pour moi atteint ses limites.