Il y a quelques images d'anthologie dans "Françafrique". Par exemple, Omar Bongo expliquant sur un ton patelin, avec un sourire jusqu'aux oreilles, que "les relations avec Total ou Elf, ça ne change pas. C'est la transparence. Ca a toujours été la transparence." Ou alors Albin Chalandon, à l'époque PDG d'Elf, débarquant de son avion à Port-Gentil, le grand terminal pétrolier gabonais, costume Saint-Laurent claquant au vent, sourire carnassier et Ray-ban opaques en bandoulière. On peut dire ce qu'on veut, mais à cette époque, la politique africaine de la France, elle avait de la gueule - ça nous change d'aujourd'hui, avec BHL qui part faire son auto-promotion en Libye et cette intervention au Mali chiante comme la pluie. On fout toujours autant la merde là où on passe, mais maintenant, en plus, on essaie de faire croire qu'on est "gentils", qu'on vient pour défendre la justice - alors que Chalandon, Foccart, Maurice Robert, Maurice Delauney, Bob Denard et leurs amis n'ont jamais eu cette hypocrisie. Au-delà de ces quelques images saisissantes, le film expose, dans ses grandes lignes, l'évolution de 50 ans de politique française en Afrique, du maintien d'un système de dépendance directement hérité de l'empire colonial, sur fond de Guerre froide et de besoins pétroliers à satisfaire, au rééquilibrage progressif du rapport de forces dans le cadre de la mondialisation, assorti de circuits d'influence et de financement occultes qui perdurent. Tout cela est bien connu. Il ne faut pas attendre du commentaire, assorti comme il se doit d'une musique qui souligne le côté glauque de tout ça, autre chose que le prêchi-prêcha moralisateur habituel: les salauds de Français, les pauvres gentils Africains, les dirigeants corrompus, etc. On ne montre évidemment que ce qui alimente cette vision - en évacuant, par exemple, toute comparaison avec ce qui s'est passé dans les régions africaines où la France n'était pas présente, qui, comme chacun sait, se sont révélées des modèles de démocratie et de développement harmonieux (Liberia, Soudan, Ethiopie, etc.). Passage croustillant quand, pour vilipender le soutien de la France à l'armée biafraise, on nous montre un laïus du général nigérian Benjamin Adekunle (le "Scorpion noir"), qui vilipende l'interventionnisme français alors qu'il est le principal responsable de la stratégie de blocage de l'aide humanitaire et de la destruction par la famine de la résistance Ibo au Biafra. On nous parle du "pillage" par la France des ressources de l'Afrique, au mépris des intérêts des Africains, mais on ne parle jamais de son pendant: la mise en place d'une immigration de peuplement africaine en France, pour laquelle on n'a pas non plus demandé l'avis des Français, à l'origine de transferts de fonds massifs des populations transplantées vers leur pays d'origine. Enfin, on peut noter le parti pris politique du réalisateur à certains détails amusants. Son apologie de Laurent Gbagbo, dont on tait qu'il a été jusqu'au bout de sa carrière un grand ami du PS, qui se fera débarquer quelques mois après le bouclage du film et est actuellement en jugement à La Haye pour crimes contre l'humanité. Son traitement pour le moins rapide des "années Mitterrand" et des exploits de Papamadi, fils et M. Afrique du président, qui n'apparaît que quelques secondes; et sa longue liste des personnalités arrosées par Bongo - toutes de droite, alors que plusieurs intervenants insistent sur le fait qu'Omar, pragmatique, se faisait un devoir d'arroser tout le monde et que le personnel politique français au grand complet faisait la queue dans sa salle d'attente. "Françafrique" n'échappe donc pas aux travers de l'industrie française du documentaire, qui est de fait une arme de propagande au service de la pensée dominante et de la couleur politique (la gauche) qui domine le monde des médias. Le panorama qu'il propose, même si d'un intérêt réel, doit donc être contemplé avec une bonne dose de distance critique.