Même s'il ne se réclame pas d'un genre particulier, L'Hiver dernier fait penser à un western que l'on aurait déplacé dans un environnement différent : l'Aveyron et l'Aubrac. Et bien que John Shank n'ait pas délibérément utilisé le western pour le distordre, son film comporte néanmoins la plupart des caractéristiques constitutives du genre : le rapport à la terre, un ennemi invisible, quelque chose contre quoi il est nécessaire de se battre, une communauté, etc. De plus, le personnage principal s'apparente à la fameuse figure du lonesome cowboy.
Avec L'Hiver dernier, John Shank signe un film autobiographique à de nombreux égards. Le cinéaste partage en effet de nombreux traits avec le personnage principal du long métrage. Ainsi, ce dernier vit à l'écart du monde dans une ferme qu'il a héritée de son père, une situation qui rappelle fortement l'existence du cinéaste John Shank. Il raconte : "Je suis né à Bloomington, la ville de l’université de l’Indiana. Quand j’avais 6 mois, mes parents sont retournés dans leur village familial, un petit bled au milieu des champs de maïs et de grandes exploitations agricoles. J’ai vécu là jusqu’à l’âge de six ans, jusqu’à ce nous partions vivre en Belgique. A partir de ce moment, et jusqu’à l’âge de 18 ans, j’ai fait des allers-retours vers les Etats-Unis, parfois pour six mois, parfois pour un an. Quand je vivais en Belgique, j’habitais également dans un petit village agricole et d’élevage – mais ni mes parents, ni mes grands parents ne sont agriculteurs. En revanche, j’ai baigné dans cet environnement-là. J’ai clairement un sentiment très fort d’appartenance à cela, une terre et une communauté, dont je suis à la fois totalement issu et extrait", confie-le réalisateur.
L'Hiver dernier cite explicitement les deux premiers films de Terrence Malick dans certaines de ses séquences, plus particulièrement lorsque l'on aperçoit Johann, le protagoniste principal, porter sa carabine à son épaule : il s'agit d'un clin d’œil à La Balade sauvage (1974). Dans le long métrage en question, Martin Sheen imitait alors James Dean, carabine sur les épaules. Bien que rien de tel n'ait été stipulé dans le scénario original de L'Hiver dernier, le metteur en scène John Shank a trouvé que son acteur principal Vincent Rottiers dégageait quelque chose de semblable à travers son jeu. Il a alors décidé d'intégrer la scène à son long métrage. Avec sa façon d’aborder des personnages ou des figures plongées dans un monde qui les dépasse, le cinéma de Robert Bresson n'est, lui non plus, pas très loin.
L'origine du réalisateur John Shank, partagée entre les grandes étendues de l'Indiana aux Etats-Unis et le nord de la Belgique, ont eu une incidence sur sa façon d'embrasser un espace, d'en délimiter les contours, d'en cadrer l'essence. C'est par ailleurs dès son plus jeune âge que ses parents lui transmettent, par le biais de livres et de peintures, le goût de s'imprégner d'éléments en rapport avec la terre, l'espace et l'étendue du monde. En découle une photographie inspirée par cet héritage.
Le cinéaste John Shank a préféré éviter que L'Hiver dernier soit enfermé dans une temporalité close. Bien que certains détails comme la monnaie inscrivent le film dans une réalité contemporaine, il a souhaité échapper au réalisme social du monde. Le metteur en scène explique : "Il me semblait que par le dépouillement, l’épure, la non-concordance temporelle, on pouvait faire apparaître un sentiment de cycle, un sentiment universel. On voulait créer un monde partagé par plusieurs générations", explique-t-il.
Pour John Shank, filmer en 35 mm a été un impératif catégorique pour son premier long métrage L'hiver dernier. Metteur en scène mais également scénariste, il a en effet écrit le film en pensant au 35 mm. Pour lui, c'est un détail qui a son importance : "Tout comme un peintre décide de faire une aquarelle alors qu’un autre choisira l’huile. On ne raconte pas la même chose, on ne travaille pas la même matière. On peut prendre un même sujet, une même figure, par contre la sensation qu’on donne au spectateur est différente. On loue aujourd’hui, à raison, la qualité de l’image numérique, mais je reste persuadé que ça influe sur le genre de films qu’on peut faire nettement plus qu’on ne veut le croire. Ce n’est pas tellement une question de qualité, c’est une question de nature. Je pense que le spectateur ne recevrait pas autant et surtout très différemment le film s’il avait été tourné en numérique", confie-t-il.
Dans L'Hiver dernier, chacun des personnages est doté d'une symbolique dépassant les frontières du récit. C'est le cas d'Hélier, le protagoniste qui veut amener les gens de la coopérative, à une forme d'économie plus globale : il s'agit d'une figure paternelle, représentante du modèle économique dominant. Dans le monde gouverné par le capital, il est en effet très délicat pour un paysan de continuer à trouver une raison d'être.
Le récit de L'Hiver dernier ressemble beaucoup à celui du mythe fondateur américain : une terre, un homme et une possibilité de construire quelque chose, avec parfois le conflit pour conséquence. John Shank détaille : "Je ne le revendique pas, je constate simplement que c’est d’abord le lien à la terre qui est fondateur, qui appelle à un mouvement vers l’autre. Et ça, je pense que c’est profondément américain, c’est ce qui me touchait quand j’ai lu pour la première fois John Steinbeck ou William Faulkner, quand j’ai vu pour la première fois des films de John Ford ou d’Elia Kazan. Il y a un sentiment d’appartenance à un monde beaucoup plus vaste et c’est ce sentiment, ce lien que j’avais envie d’aller filmer."