Chez Jeff Nichols, plus à travers Shotgun Stories et Take Shelter que Mud, où son rôle était plus effacé, j'ai été totalement séduit par la présence impérieuse et torturée de Michael Shannon, que j'imaginais sans mal dans le rôle de Richard Kuklinski, tueur à gages stakhanoviste et limite bipolaire qui a entretenu pendant 30 ans une vie de famille d'apparence ordinaire en parallèle de ses liens étroits avec les mafias new-yorkaises. Michael Shannon, lueur qui m'a conduit vers The Iceman, se sera finalement avéré être un leurre, tant sa prestation majuscule peine à masquer les insuffisantes criantes du film de l'israelien Ariel Vromen. Si celui-ci, bien aidé par la stature imposante de son acteur principal, arrive en le cadrant de près, en jouant sur son placement ou encore en l'enfonçant sous d'épais manteaux, à faire de Kuklinski une figure monstrueusement oppressante, c'est bien la seule réussite à noter dans son traitement du personnage, étonnamment lisse malgré le matériau offert, ou du moins beaucoup trop indécis. Rejetant l'ambivalence du père de famille assassin, Vromen le cantonne à une figure superficielle et anodine. L'histoire de Kuklinski se construit en effet comme pourrait l'être celle de n'importe quel homme adultère, heureux de sa vie familiale comme de ses secrets et simplement désireux de ne pas mélanger les deux facettes de sa vie, qui ne sont en réalité que la concrétisation des envies et des inclinaisons d'un même homme, d'un même être. A aucun moment on ne sent de bipolarité, de ségrégation nette entre la tendresse du père et la folie ou la déviance du tueur de sang froid. Tout ça, sans doute, pour renforcer l'idée d'un homme si froid qu'il arrive à inclure des meurtres sordides à son quotidien sans que sa construction mentale en soit affectée. Certes, il se peut que le personnage ait réellement été tel, mais il me semble quand même que le sujet appelait justement à un traitement plus hachuré, à une rupture plus nette, qui aurait alors permis une vraie étude psychologique des traumas et des psychoses de Richard Kuklinski, quelque chose au pouvoir de fascination autrement plus grand. C'est d'autant plus dommage qu'une scène, où apparaît d'ailleurs James Franco, esquisse intelligemment la furie meurtrière du tueur comme une recherche de limites, traçant une piste de lecture qui se referme aussitôt. Dans la même ligne d'idées, la mise en scène complètement amorphe des scènes de violence, qui se veulent visiblement cliniques, déconnectées, absentes, comme l'appareil émotionnel du tueur. En plus d'être froid et de ne laisser aucune prise au spectateur, le procédé est d'un banal confondant, privant même le public des bons moments de mise en scène qu'il peut commencer à chercher dans la solitude où ce scénario si fuyant le laisse. Et formellement, aucun originalité n'émerge, le film s'avérant assez pauvre en dehors de quelques séquences montées de façon plus vive et plus osée, qui n'expriment pourtant pas grand chose de plus que la difficulté de maîtriser une narration sur 30 ans en la rendant fluide. Heureusement, le casting porte l'édifice bancal sur ses épaules. Certes, Liotta et Franco, clichés et attendus à souhait, dénotent plus qu'autre chose une volonté passive d'assurer le coup en se référant aux classiques du genre, mais Chris Evans surprend légèrement mais agréablement en alter ego dérangé de Kuklinski. Winona Ryder excelle quant à elle dans un rôle de femme aimante et digne qui transmet au film beaucoup de son humanité. Quant à Shannon, sa composition transpire la classe, de ses regards glaciaux et impressionnants aux tics nerveux qui finissent par trahir la douleur de celui qui sent tout contrôle lui échapper. Mais en dehors de ça, The Iceman manque un peu de tout, à commencer par une vraie personnalité et la capacité de s'emparer avec fermeté d'un sujet qu'il ne sait traiter jusqu'au bout. Dommage.