Under the skin
Long métrage étonnant et incroyablement déroutant, ce dernier long métrage avec Scarlett Johansson a de quoi faire parler de lui. Réalisé par Jonathan Glazer, « Under the skin » raconte le voyage éphémère et initiatique d’une extraterrestre sur la planète Terre. Sans savoir ce qu’elle fait vraiment là, sans connaître réellement son but ou sa tâche, on suit cette extraterrestre prenant les traits de la sulfureuse Scarlett Johansson, à travers son périple sur notre planète. On découvre qu’elle se nourrit des hommes et qu’elle semble poursuivie par de mystérieux individus.
On ne sait trop par où commencer pour écrire sur un film comme celui-ci. Commençons donc par parler de la technique irréprochable du long métrage. La scène d’ouverture, très étonnante, sorte d’hommage à Kubrick, nous offre un gros plan de quelques minutes sur la pupille d’un œil, le tout appuyé par une musique stridente, presque désagréable, qui pose le ton. En effet, « Under the skin » est en réalité un film minimaliste, froid, âpre et extrêmement silencieux. Les dialogues sont presque totalement absents laissant seulement s’exprimer les jeux de regards et le charisme inquiétant de l’incroyable actrice qu’est Scarlett Johasson, offrant une prestation assez hallucinante. Ainsi ce manque de dialogue significatif appuie l’inquiétude qui se dégage du film et notamment le personnage principal. Une inquiétude aussi appuyée par l’image. En effet le réalisateur utilise une image très brute, très sale, absolument pas reprise, très peu travaillée en post production, pour appuyer le réalisme et la profondeur crasseuse de l’histoire. A la façon de Nicolas Winding Refn dans son « Pusher », Glazer utilise le même principe dans l’image pour appuyer la crasse inconditionnelle du film. Une technique largement justifiable et qui ici ne gâche absolument rien. Le lieu ajoute également à la froideur et à la brutalité de l’histoire. Dans une forêt profonde certainement d’un pays scandinave Johansson évolue et détruit ses proies les unes après les autres. Ainsi le contexte et le décor sont posés.
La réalisation est très intéressante. Elle se manifeste de deux manières. D’un coté, on a les passages dans le monde terrestre, où Johansson déambule dans les villes, observe le genre humain, apprend à connaitre ces étranges créatures, les étudie. Dans ces passages, la réalisation sonne très documentaire. Des plans bruts, non travaillés comme il est dit juste avant, tout est très réaliste et très analyste. On trouve d’excellents plans d’être humains, loin d’être indispensables, passablement inutiles, mais qui appuient pourtant très bien ce côté documentaliste. Puis la deuxième partie de la réalisation prend vie dans l’antre de l’extraterrestre. Lieu inconnu, sans réelles échelle ou règles, sans haut ou bas, sans dimensions. La réalisation en est donc complètement différente. Ici tout est retravaillé, magnifié, éclairé. Les décors et la texture sont magnifiques. Les référence à Stanley Kubrick sont légions, ainsi on retrouve une rivière de liquide rouge qui n’est pas sans rappeler « Shining » et sa marée de sang sortant des ascenseurs. Enfin, cette idée d’allier deux types de réalisation est une idée brillante qui fonctionne à merveille dans ce long métrage.
L’enchainement de l’histoire est simple. Succession de séduction, puis d’entourloupe, suivie de meurtres froids et efficaces. L’extraterrestre séduit des hommes, qu’elle emmène ensuite chez elle, pour les piéger et se nourrir d’eux. Ces passages de mort nous offre des moments artistiques étonnants et d’une beauté confondante, mais aussi d’une effroyable imagination. Ces scènes dégagent un degré d’effroi et de détachement assez incroyable. Les pauvres hommes s’avancent nus, inexorablement, vers Scarlett Johansson, ne se souciant que de son sublime corps, plus un mot ne parvient, seul le silence et une minuscule et terrifiante petite musique en fond sonore s’expriment. Le tout filmé par des plans étonnants, notamment des contre plongées parfaites, et un décor inexistant pour exprimer la chute dans l’abîme du vice. Alors que les hommes sont engloutis dans une sorte de liquide, on se prend a voir Scarlett Johansson en contre plongée, marcher sur ledit liquide alors que l’homme est resté au fond. Ce schéma est reproduit pour chaque nouvelle proie. Mais alors qu’une certaine redondance aurait pu apparaitre, le réalisateur nous dévoile à chaque nouveau meurtre quelques éléments de plus quant à l’évolution de ce cauchemar. Il nous arrive même d’entrevoir la nature et le vrai visage de l’extraterrestre.
« Under the skin » est un véritable cauchemar sur terre. L’extraterrestre semble être la main d’un certain destin, punissant les âmes perfides. Ce personnage accomplit sa tâche d’une désinvolture transcendante, ne se souciant pas de la douleur de ses proies. Mais qu'elle est sa véritable mission ? Détruire ou protéger ? Difficile à dire. Puisque cette extraterrestre ne s’attaque apparemment qu’à de viles séducteurs, ne voyants la femme uniquement comme un objet et un désir sexuel. Alors que ces hommes véreux tombent dans la séduction de Johansson, ils se font détruire à petit feu dans le liquide. Ce liquide, si l’on extrapole, pourrait être un équivalent du placenta. Ce qui signifierait que ces hommes retournent à l’état d’enfant avant de disparaître. Sorte de purification de l’âme quant à tous les péchés sexuels qu’ils ont fait subir. Et pourtant lors d’une séquence incroyablement dure, Johansson écrase le crane d’un pauvre homme qui tentait de sauver des gens de la noyade, et pour appuyer encore à l’effroi, abandonne un bébé seul face à la mort sur une plage déserte. Que veut dire cette séquence ? Ici nul vice n’était mis en avant, au contraire seules la solidarité et l’entraide existaient dans ce passage, et pourtant la main de l’extraterrestre a quand même frappé sans grande raison apparente. Etait-ce pour exprimer l’erreur de cette main du destin, ou son manque d’indulgence, est-elle trop exigeante envers les hommes, ou même que le personnage de Johansson ne croit pas vraiment en ce qu’il fait et donc se trompe dans sa tâche ?
On remarque cependant au cours du film que l’extraterrestre semble surveillée par quelques uns de ses semblables. En effet des individus juchés sur des motos sont sans cesse à la poursuite de Johansson et surveille assidûment son travail. Ainsi ne pourrait-on pas penser que les humains sont ici pris comme des cobayes, que Johansson est ici sur terre pour les mettre à l’épreuve, pour les surveiller, les étudier et ainsi les faire souffrir pour observer leurs réactions face au danger, à la tentation et autres sentiments ? Les lectures sont multiples et toutes très intéressantes.
Cependant la vision du monde de l’extraterrestre évolue au cours du film. Alors que Johanssson s’attelait à sa tâche rigoureusement, au fur et à mesure, son attention se détache, son intérêt et sa curiosité l’emporte sur sa mission. Après avoir rencontré un homme qui l’aide, la met en valeur et fait attention à elle, elle se prend à d’autres espérances, à d’autres imaginations. On découvre que le personnage reste à la fois perplexe et néanmoins dument intéressé par ce monde qu’il ne connait pas. Sa curiosité est telle que l’extraterrestre essaye de devenir humain, il s’humanise. Tout ce changement d’état est exprimé subtilement. On surprend l’extraterrestre à s’essayer à différentes expériences, d’abord sexuelles, puis sensorielles, elle apprend à connaître l’humanité et son propre corps. Le réalisateur nous retransmet donc toute l’éducation, l’élévation, la puberté de l’être humain en quelques minutes à travers le corps d’une extraterrestre.
Under the skin, plus qu’un film de science fiction, est avant tout une œuvre terriblement intimiste. Ici nul n’est jugé, on n’a pas affaire à de jugements moraux, personne n’est définit comme étant gentil ou méchant. Aucun point de vue manichéen se dégage du long métrage. Le long métrage se contente juste de nous présenter ses personnages guidés par leurs pulsions incontrôlables. Mais par-dessus tout, « Under the skin » nous fait une lecture très pessimiste de l’humanité. Le film nous informe des innombrables faiblesses que possède la race humaine, surtout exprimées de manière sexuelle, puisque qu’aucun homme ne résiste au camouflage de l’extraterrestre, mais une vision plus large nous est offerte et nous dit tout simplement que l’homme est faible. Et pourtant malgré cette péjorative qualification du genre humain, l’extraterrestre cherche absolument à se rapprocher de ce genre. Elle cherche absolument à s’humaniser. Mais dans quel but ? Le réalisateur nous dirait-il que la faiblesse, l’erreur, forgent un être consciencieux ?
Pour conclure « Under the skin » est une réelle expérience sensorielle à ne rater sous aucun prétexte pour tous les amateurs de cinéma original et d’œuvre relativement hors du commun.