Hier, j'étais au bar de mon coin, tranquille, encore une fois à y boire un verre, pas loin de mon ciné à moi, et j'avais pas passé une journée de dingue. Je m'ennuyais un peu, et seul, quand on s'ennuie, y'a pas grand chose à faire, si ce n'est s'ennuyer. Mais bon, j'ai un esprit un minimum inventif, alors, ce que j'ai fait, c'est que j'ai décidé de passer au présent. Non, je plaisante. Je décide d'observer les gens. Beaucoup se ressemblent, le même genre de mecs, plutôt avinés, des fois complètement bourrés, qui vous font pitié et vous adressent la parole sans que vous ne l'ayez souhaité. Tiens, deux mecs changent dans ce décors pas très accueillant. Deux mecs bien habillés, l'un avec un beau blouson, les cheveux en arrière, plutôt pas mal, on dirait ( enfin, c'est ce que penserait une femme ) face à l'autre ( tout en me tournant le dos ), peut-être mieux habillé, en tout cas avec plus de moyens. Il est en costard cravate et a une sale gueule de politicien. C'est pas que je hais les politiciens, mais bon, je préfèrerai voir Christian Bale que Nicolas Sarkozy. Bref. Les deux ont l'air de s'engueuler. Ils s'énervent, particulièrement celui de dos avec les cheveux en arrière, sans être trop cons pour parler trop fort. Ils ne veulent pas qu'on les entende, et augmentent suffisamment le son pour pouvoir s'entendre. La télé dans le coin est trop forte, et ce n'est pas que je n'en ai rien à foutre du long discours d'Obama, mais bon, je suis ici pour autre chose que pour me préoccuper du gros nombril de ces ricains colonisateurs de planètes. Les deux se séparent, monsieur cheveux en arrière s'approche de moi, viens s'assoir au comptoir à une distance suffisante pour que je ne lui parle pas, et commande un ver de scotch. J'ai l'air fin, moi, avec mon verre de coca. Et donc, comme je suis un enquiquineur de fouineur, je vais m'assoir à côté de lui. C'est quand même pas?... Il a compris que j'essaie de savoir qui il est, et me dévisage à son tour. "Je suis si beau que ça?" Je ne répond pas. Merde, mais j'ai Brad Pitt en face ou quoi??? Je balbutie et parvient à lui demander son nom. Il ne me le donne pas. Je lui demande pourquoi, il me répond parce que peu le savent. Et puis, je le questionne sur le mec que je viens de voir. Même chose, il est très réticent à l'idée de me confier son nom. Je recommence jusqu'à ce qu'il en ai marre. Mais bon, je change les questions pour pas qu'il veuille me buter, parce que ce gars là, même s'il a la gueule d'amour de Brad Pitt, c'est vraiment pas un rigolo. On est loin de "Max la Menace". Au final, il me raconte un peu sa vie. Enfin, s'il le fait, c'est principalement parce qu'il a enchaîné un scotch, deux whisky et un digestif asiatique, un alcool de riz ou un truc du genre. Il n'est pas bourré, sinon il m'aurait déja frappé, mais il est plus ouvert que quand j'ai commencé à lui parler. Et donc, il me raconte sa vie de ces derniers temps. C'est glauque. Bordel, et moi qui me plaignait d'avoir une vie trop banale. Lui, elle est carrément trop anormale. Mais bon, je l'écoute et le temps passe, passe, passe tellement lentement que j'en ai déja marre passée la première demi heure. Je regarde ma montre toutes les minutes, puis me calme, me concentre sur mon verre, et ne la regarde que toutes les cinq minutes. Les longueurs se multiplient, les lenteurs aussi, on est loin de l'épopée du sosie brun de Tom Cruise. Mais bon, il a l'air sympa, ce mec. Je continue encore jusqu'à la fin. Si son histoire avait été un film, un constat se serait offert à moi : ça n'a été fait que pour aller à Cannes. C'est prétentieux, lent, étrange, et ça vise clairement les oscars. Des oscars que, bien sur, ça n'aurait pas. Mais il y a d'autres remarques à faire sur son histoire. C'est vraiment bizarre, tellement que ça en devient terriblement intéressant. Enfin, pour cinq minutes, quoi. La façon qu'il a de me décrire cette histoire, le film que je m'en fais dans ma tête, c'est vraiment surprenant. Je ne m'attendais pas à ça. Mais en même temps, on dirait que ça pioche un peu de partout dans la culture moderne, autant du côté de Tarantino que de celui des frères Coen, dont je n'aime pas l'art mais qui, je dois bien le reconnaitre, sont des réalisateurs d'exception. Ils ont marqué le cinéma, et ça se ressent. Cela rappelle notamment ce "No Country For Oldmen" qui avait tant fait de bruit à sa sortie. Et là, le sosie de Mr Smith apparait dans l'histoire, sur du Johnny Cash, "The Man COmes Around", et c'est peut-être la meilleure apparition du film. L'histoire continue, et on arrive à un moment d'anthologie, y'a pas d'autres mots. Non, c'est sûr et certain, ce moment, il est culte. Pitt est chargé de butter un mec dans sa voiture, un pauvre gars que la chance a abandonné il y a quelques années, et qui va visiblement prendre cher. Déja, quand il s'est fait tabasser, c'était vraiment cruel et trop violent. Là, c'est rapide, net et sans bavure. Les ralentis sont géniaux, les plans magnifiques et le pauvre homme une victime. C'est sa façon de me raconter l'histoire et toute cette immersion qui fait que j'ai presque tout ça devant les yeux. Et puis, je me dis que c'est quand même étonnant de voir un tel mec dans un tel rôle de bad guy. Mais après tout, ça ne lui va pas si mal. Il y est même bon en tant que mec badass et impartial. Mais bon, le braquage au début m'a quand même laissé perplexe. Les mecs sont justes deux pour s'en prendre à la mafia. Ouais, si tu veux. Le pire, c'est que pour innover, les deux gugus se sont sapés avec des habits H&M, un collant sur la tête et des gants de cuisine jaune sur les mains? Y'a pas un léger truc qui cloche, non? Mais bon, c'est un détail. Il finit son histoire, et cette fois ci, personne d'autres que moi ne s'y intéresse. C'est un peu comme si j'étais le seul que cette histoire n'ait pas rebuté. Et justement, le problème avec cette histoire, c'est qu'elle est tellement étrange qu'elle laisse l'unique et surprenante impression de n'avoir ni plu ni déplu, un peu comme si, sans quand même nous avoir laissé de marbre, ne nous avait pas tout le temps fait rentrer dans une immersion pas toujours présente. Trop de dialogues et de passages inutiles. Mais bon, un truc est sur, ce que j'ai vu quand les deux gars parlaient, était vraiment très intéressant. Finalement, il m'a donné son nom, et ils lui a fait comprendre que le rêve américain est une illusion, une utopie, une histoire pour les enfants encore au berceau. Ce n'était pas la vie la plus intéressante qu'on ait pu me raconter, surement la plus cruelle et violente. On est loin du chef d'oeuvre. Le gars s'en va, il me laisse en plan, et me fait promettre de fermer ma gueule. Pourquoi irai-je voir les flics, moi? Je n'ai pas envie de finir comme l'autre dans sa voiture.