Tout d'abord une très grande satisfaction de voir réunis en un film le réalisateur de Dracula et Edgar Allan Poe. Le premier reprend et adapte à peu près tous les thèmes chers au second, mais d'un point de vue formel, n'importe qui aurait pu le faire. Coppola pousse l'analyse littéraire beaucoup plus loin et réussi haut la main le pari de retranscrire le style de Poe dans un langage cinématographique. La subjectivité temporelle (et tous les méandres romantico-gothiques de l'esprit qu'elle peut suggérer) est en effet très largement exploitée visuellement, grâce à l'image entêtante et symbolique du clocher aux sept heures, les ralentis, les couleurs et mains procédés.
La correspondance entre différentes époques plus ou moins rapprochées a toujours habité l'oeuvre de Coppola, et elle est toujours favorisée par des sentiments si forts qu'ils excèdent la condition de la personne qui les ressent (cela se traduit par la réincarnation dans Dracula, les flash-back dans Le Parrain, le retour dans le passé de Peggy Sue...), aussi quoi de plus normal que de voir débarquer Edgar Poe en plein milieu du film ? Sa présence semble nécessaire dans des circonstances où il est si ardamment invoqué, comme Ligeia ne peut pas faire autrement que de renaître lorsqu'elle est si présente dans le monde des vivants. Il va de soi que la thématique et l'esthétique du rêve sont également omniprésentes. L'aspect parfois presque série B du film (effets numériques non-réalistes, contraste rouge sang/bleu nuit à la limite du vulgaire [mais très beau]...), s'il en a rebuté certains, est pourtant justifié. Tout d'abord il s'agit de la description d'un monde vu au travers des yeux d'un écrivaillon de livres fantastiques, aussi il semble normal que ce monde à moitié rêvé ressemble à ses livres, et même plus généralement au look flamboyant d'un rêve. Deuxièmement, Coppola voulait très clairement faire un "petit" film qui n'aurait pas l'ambition esthétique de fresques telles que le Parrain. Dernière et meilleure raison : comment rendre, aujourd'hui, au mieux, l'ambiance gothique des livres d'Edgar Poe ? Au milieux des Twilight et autres bêtises à la mode, ou pour faire mieux que des films comme la Dame en Noir qui tentent, de manière louable ou non, de coller à la tradition du gothique et qui sont déjà, somme toute, vains et dépassés, il fallait trouver autre chose pour témoigner de sa fidélité. Coppola, comme d'habitude, ose : il en fait des tonnes, parfois à la limite de la parodie, mais ne recule devant rien. Résultat : au milieux d'images éblouissantes si caricaturales, on perçoit, au détour d'une scène, dans un regard ou dans un cri, dans l'ombre d'un arbre ou dans la lueur d'une lune, l'essence pure du gothique, et même du gothique de Poe, qui tout d'un coup nous transperce sans prévenir, le temps d'un instant, mais de manière tellement plus sincère et puissante qu'à travers les maintes et maintes tentatives cinématographiques passées. C'est dans un hommage sans retenu, à grand renforts de références et d'éléments personnels que Coppola saisit avec tant de justesse le fond de l'oeuvre de Poe et de la sienne par la même occasion.
La jeune fille blafarde dans une robe couverte de sang, qui frappe de rage ses chaînes contre un arbre ? Tout est dit.