Coppola nous offre une plongée tortueuse dans un subconscient macabre à travers un processus créatif qui prend appui sur une sorte de métascript de la méthode psy-analyste jungienne en lien avec un rêve (qu'il a fait à Istanbul en 1999). TWIXT se voit affublé du genre film d'horreur, ce qui est réducteur, malgré quelques scènes assez violentes. Ce thriller captivant, complexe voire foutraque en apparence, nous embarque dans un voyage parallèle au sein de la conscience dédoublée, qui prend la forme d'un sombre conte dramatico-fantastique aux allures surréalistes et aux voix caverneuses. Son originalité se fonde sur le réveil d'un passé douloureux effectué par le mode opératoire du sommeil, qui sert de voie révélatrice, voire de catalyse apocalyptique pour l'acte de création. Par-dessus l'élucidation d'une affaire de meurtre locale liée à un étrange milieu gothique ricain vient se greffer, dans l'esprit tortueux d'un écrivain à la ramasse, le souvenir rémanent de la perte brutale de sa fille. Elle Fanning incarne V. (pour Virginia, vierge sacrifiée de l'entre-deux, Victime Vengeresse), son équivalent transmuté; l'actrice manifeste un potentiel certain. Cette figure fantomatique, évanescente, permet à Francis Ford Coppola de transposer la mort de son fils G.-Carlo, dont la beauté emportée dans la fleur de l'âge par l'élément yang aqueux lui fait opérer une translation genrée. L'archaïsme anglais «twixt» signifie d'ailleurs entre deux: situation d'inconfort mais aussi de dépassement du manichéisme binaire religieux. Ainsi, nous voici plongés dans une folle hybridité: fille mais en réalité garçon, mi-enfant mi-adulte, pureté souillée, rêve mêlé de réalité ou inversement, amour mortel... L'événement traumatique de cette disparition, par l'expression de sa sphère réflectrice, semble avoir littéralement vampirisé le cinéaste, sur fond de culpabilité. Il va donc affronter le démon de son subconscient (symbolisé par le beffroi); le cinéma, pareil à l'écriture (par effet gigogne), représente le moyen pour tenter d'en découdre. Val Kilmer alias Hall, joue le jeu adéquatement (mais sans force) en nouvelliste bouffi has been, au milieu d'une bourgade indolente aux tréfonds hitchcockiens (Bruce Dern en schizo). Il semble rassurant que le rêve obsédant l'emporte sur la transe sous alcool dans le processus d'inspiration de Hall, l'écrivain en porte-à-faux avec son éditeur. Or c'est que l'alcool se révèle ici impropre à la pénétration de l'état second nécessaire à l'exploration de l'intime profond. L'introduction du personnage d'Edgar Allan Poe (Ben Chaplin, convainquant), qui alors sert de guide à l'auteur lors de ses recherches subconscientes, si elle ajoute à l'ambiance hallucinatoire, s'avère discutable, puisqu'une confusion s'instaure entre la démarche poétique, qui n'a pas à voir avec l'inspiration, et celle du romancier, en quête d'accroches littéraires; en fait, Coppola tend à dire par là que sa vérité constitue la raison d'être de son film. Rapportée à son personnage, un telle approche atypique et a priori incongrue, tient la route, ceci d'autant qu'il semble vénérer ce monument de la poésie étatsunienne qu'est «Feuilles d'Herbe» de Walt Whitman. Quant à Poe le maudit (traduit par Baudelaire et ici académiquement cité), il illustre trois figures: le coach artistique, l'éclaireur criminologue et le voyant sataniste (cf. son poème «Alone»). Quoi qu'il en soit, l'issue du subconscient s'exprime à travers le sang. Lors des scènes lunaires en noir-et-blanc, la permanence des couleurs rouge et feu signale ainsi la poussée karmique de l'être aural. L'auteur accepte donc de faire face aux démons, le sien mais aussi ceux d'existences parallèles au microcosme commun. Le hic, c'est que l'entreprise n'a pas pour objectif d'aboutir à un état de conscience différent, libérateur -via l'exercice d'un développement gnostique personnel- mais de parvenir à exprimer une histoire transcendante, vectrice de réussite matérielle. La purification passe par le sang, par les noces noires, incestueuses, avec ce mal réveillé des ténèbres- un zeste de citron... Par là, Coppola, membre supposé du Bohemian Club, affirme préférer les terres dites satanistes au changement spirituel pour améliorer sa vie. Le brisement du moi, qui autorise sa renaissance, pourrait s'opérer de manière naturelle; or c'est l'acte dément qui y pourvoit, comme une hybris permettant d'accéder à un état second. C'est pourquoi TWIXT résonne comme une sorte de mise à nu, un testament théiste noir, une exploration satanique dont la dimension occulte en brouillera plus d'un. Dense malgré ses 1h25 et faussement simple, ce film d'auteur peut déconcerter par ses choix esthétiques et par sa cadence. On comprend qu'on aime ou qu'on déteste... Difficile à noter. Néanmoins, force est de constater la cohérence de l’œuvre (malgré l'aspect décousu), sa richesse analytique tout comme, sous des dehors anodins (liés à un budget limité), son pouvoir de prégnance.