« You’re going to have to learn to let go… »
J’en veux toujours à Peter Jackson d’avoir adapté Le Hobbit à l’écran, rouvrant une plaie qui, je crois, ne cicatrisera jamais complètement, comme si cette blessure m’avait été in-fligée par une lame de Morgul : Le Seigneur des anneaux connaît une fin, « la fin de toutes choses ». En même temps, je n'aurais pu concevoir qu'un autre réalisateur s'em-parât de cet univers, si cher, dont j'assume l'identité parfaite avec celui de Tolkien. At-tendais-je de La Désolation de Smaug qu'il coupât le cordon reliant la seconde trilogie à la première ? Sans sincérité aucune, oui. Mais il n’en sectionne, à mon grand dam, que l’artère principale, celle qui dirigeait le cinéma jacksonien vers un cinéma total, dé-ployant un prodigieux effet de présence et s’épargnant un certain kitsch inhérent à la fantasy. C’est qu’entre la CGI, dont Un Voyage inattendu prouvait déjà l’utilité marginale décroissante, et la direction artistique/costumière, moins inspirée et moins méticuleuse, le film fait un peu toc ; la Middle Zealand qui m’habite depuis des années, à défaut pour moi d’y habiter, s’éloigne en conséquence.
George Clooney, de sa petite voix, m’invite à « let go » du Seigneur des anneaux, à embarquer pour Valinor avec Bilbo : qu’il aille voir aux confins de l’univers si j’y suis. Cela dit, jouer les puristes ne m’amuse pas, et je reconnais tout le soin apporté à la photographie ; je reconnais, surtout, le travail monumental d’animation 3D, aussi im-pressionnant que dérangeant. Encore qu’un monde sépare Azog, l’Orque à l’aspect gi-mauvesque, de Smaug, sublime dans toute sa stupendousness. L’énorme reptile pour-fendu, Peter le Gris deviendra Peter le Blanc ; en attendant, il a montré qu’il restait, sinon un grand cinéaste, un grand illusionniste -mieux vaut être un iste qu’un aste, disait d’ailleurs Yukio Mishima. Quel trick retient davantage l’attention que la produc-tion d’un luxueux dragon, non sans rappeler la fusée de Gandalf que tirent Merry et Pip-pin au début de La Communauté ? Certes, Jackson a d’autres tricks dans son (Cul-de-) sac ; la mise en abyme de l’Œil, happante, est l’un d’eux.
Histoire d’un aller et retour
Le Hobbit, visuellement plus lisse et globalement moins réaliste, se nourrit au fond du Seigneur des anneaux ; pourtant, il le précède hors et dans la diégèse, l’introduit. Les prélogies m’enthousiasment autant que les caméos, celui par exemple d’Elijah Wood dans Un Voyage inattendu : je n’en conteste donc pas le principe. Simplement, le réa-lisateur n’a pas assez privilégié la source littéraire sur la source filmique, ramenant les aventures de Bilbo à la reconquête maladroite d’une gloire passée -pas sûr qu’il re-prenne Erebor, du coup. Les ajouts au récit et l’étirement qui en résulte, l’usage trop fréquent du registre épique, que n’exclut pas le conte mais qui ne le caractérise pas non plus, affectent également ce deuxième opus, transitoire ; le triangle amoureux entre Kili, Tauriel et Legolas, sans constituer une hérésie, s’ajoute à la liste des mauvaises idées que résumerait celle-ci : filmer une troupe de nains sur des poneys tels des Ro-hirrim chevauchant à travers le Riddermark.
Opus transitoire, parce que La Désolation de Smaug marque un progrès, insuffisant, par rapport au précédent. En effet, Peter Jackson a presque limité les prises de vue aé-riennes à celles qui lui permettaient d’exposer ses créations et les parcelles de lande endorienne rescapées de la déferlante numérique ; mieux, il a résisté à l’envie de tour-ner l’action au cœur de la Montagne solitaire comme la traversée -spectaculaire- de Khazad-Dûm, optant pour un jeu de cachettes et de diversions qui aurait pu gagner en fluidité et en dynamisme. La scène des tonneaux, par contre, n’en manque pas ; pleine d’humour, elle saisit pour la première fois l’esprit du Hobbit, à ce point que je pardonne l’utilisation, au cours de la descente, d’une GoPro (bad taste). Côté acteurs, Martin Freeman ne démérite pas et le sex appeal de Benedict Cumberbatch survit à la motion capture ; j’éviterai de m’acharner sur Orlando Bloom, fidèle à lui-même, qui’il ait ou non grossi. Côté personnages, pour terminer, Thorin se dévoile dans sa complexité, laissant poindre une certaine noblesse, et Gandalf donne vraiment de sa personne.
Gandalf donne vraiment de sa personne.
Gandalf donne vraiment de sa personne.
Gandalf donne vraiment de sa personne.