A l'heure où les émissions de télé-réalités en tous genres prolifèrent sur l'essentiel des chaînes de télévision, mettant en valeur la bêtise humaine, le manque de goût et de culture de personnes qui n'hésitent pas une seconde à s'enfermer des mois durant pour permettre à des millions d'autres de scruter leurs faits et gestes, nous sommes en droit de nous poser la question suivante : jusqu'où cela ira-t-il ?
« The Truman Show » constitue l'exemple à éviter d'une télé-réalité dans laquelle la production a privilégié l'envie effrénée de voyeurisme des télé-spectateurs au détriment du respect de la vie privée du principal protagoniste. Car, en effet, Truman n'est même pas conscient que sa vie n'est qu'un jeu télévisé suivi par des milliards de personnes, et que le monde artificiel dans lequel il évolue depuis son plus jeune âge gravite autour de ses moindres faits et gestes.
En 1998, alors que la télé-réalité est une maladie encore peu répandue, Peter Weir réalise la prouesse de montrer quel serait le résultat de ce principe télévisé poussé à l'extrême, et le résultat est effrayant.
Truman Burbank (Jim Carrey) a été choisi par des milliers de jeunes nouveaux nés pour être le héros d'une télé-réalité filmée à son insu. Depuis sa plus tendre enfance, il côtoie des hommes et des femmes qui sont à ses yeux ses amis proches et sa famille, mais qui ne sont en réalité que des acteurs qui jouent le rôle que leur a écrit Christof (Ed Harris), le « génial » concepteur de l'émission The Truman Show. Des milliards de spectateurs voient ainsi Truman grandir au jour le jour, et devenir adulte, grâce aux centaines de caméras cachées un peu partout à SeaHaven, la ville « paradisiaque » de carton pâte créée pour l'occasion.
Afin de stimuler l'audimat, la vie du jeune Truman va être ponctuée d'épreuves difficiles, notamment la supposée disparition de son père lors d'une promenade en mer, moyen ô combien efficace de le dissuader d'aller explorer « l'océan », étendue d'eau de quelques kilomètres qui constitue avec SeaHaven et les décors environnants le plus gros studio de cinéma jamais construit par l'homme.
Cette démesure se retrouve dans l'acharnement que met Christof à donner de la vie à sa « création », avec ses entreprises fictives, et ses agences de voyage qui arborent fièrement des affiches montrant des avions frappés par l'éclair (ce qui doit être douloureux pour leur chiffre d'affaire). Tout est mis en oeuvre pour faire de Truman un pantouflard en puissance.
Dans sa prison dorée, Truman va néanmoins rencontrer l'amour, par le biais de la jeune Sylvia (Natascha McElhone). Contrairement aux autres, cette dernière va être dépassée par le rôle qu'elle doit jouer auprès de lui, et va réellement s'attacher à lui. Elle va chercher à lui dire la vérité sur le monde qui l'entoure, mais la production ne l'entend pas de cette oreille, et la fait tout simplement disparaître du casting. Après cette séparation douloureuse et inexpliquée, Truman va toujours garder l'idée de la retrouver, même si entre temps, une femme a « succombé » à ses charmes d'adolescent attardé : Meryl (Laura Linney). Une bonne façon pour la production de garder un œil sur lui, et le dissuader d'ambitionner à une vie loin de SeaHaven.
Mais Turman rêve d'ailleurs, des Fidji, et un certain nombre d’événements vont le faire douter quant à l'authenticité du monde dans lequel il évolue : les portes de l'ascenseur de son bureau s'ouvre et il découvre avec stupeur qu'en lieu et place du mur du fond se trouve une équipe de télévision. Les publicités réalisées par ses proches devant la caméra le laissent perplexes (la scène où sa femme vante les mérites d'un café qui pousse sur les pentes de je-ne-sais quelle montagne est savoureuse). Il va découvrir que les « figurants » qui peuplent SeaHaven tournent en boucle dans les rues, que les embouteillages et accidents en tous genres (incendies, fuites de la centrale) apparaissent et disparaissent au gré de ses intentions, ce qui va lui occasionner une belle crise de nerfs.
Cette volonté de liberté ne sera même pas altérée par le retour de son père, ressuscité pour l'occasion, afin de garder Truman chez lui, entouré de sa « famille ». Comme tout être humain normalement constitué, il ne peut se satisfaire de regarder indéfiniment le soleil se lever et se coucher au même endroit sans penser à aller voir ailleurs s'il brille de la même façon.
Paradoxalement, les spectateurs qui suivent le Truman Show depuis des dizaines d'années avec passion partagent le désir du héros : ils veulent qu'il découvre la vérité, qu'il prenne conscience de l'existence du monde extérieur, et qu'il s'échappe de la prison dans laquelle des producteurs peu scrupuleux l'on enfermé dès les premières semaines de son existence.
Commence alors une lutte de Truman contre le monde dans lequel il vit : lutte contre ses proches, qui ne sont en fait que ses geôliers, lutte contre les éléments naturels entièrement contrôlés par ordinateur, et qui manquent de le tuer, et surtout lutte contre lui même, contre sa peur de l'eau, contre les sentiments humains qui le lient à ce lieu factice qu'il a toujours connu.
Ce film constitue une merveilleuse leçon administrée par Peter Weir, sur les dérives de la télévision, ici outil dévastateur mis au service du voyeurisme de millions de désœuvrés.
Tout est magistralement orchestré, à l'instar du Truman Show. La musique est bouleversante, et joue littéralement avec le spectateur : elle fait naître toutes les émotions en lui, du rire aux larmes, en passant par la tension, jusqu'à l'épilogue magnifique et cette révérence de Jim Carrey à classer dans les plus belle scènes de la décennie.
Ce dernier trouve ici son plus grand rôle, et surtout celui qui a montré à ses détracteurs qu'il est un véritable acteur, qu'il a du talent, et pas seulement pour les grimaces ou les comédies potaches. Ed Harris lui tient la dragée haute, avec comme toujours une prestation haut de gamme. Les autres protagonistes sont tout aussi excellents, avec une mention spéciale pour Noah Emmerich, Laura Linney, et Paul Giamatti, impeccables en seconds couteaux récurrents à Hollywood.
The Truman Show est un film atypique et visionnaire, qui traite d'un sujet qui dix ans plus tard est toujours d'actualité, avec finesse et émotion. Il constitue un classique à ne pas manquer, à recommander vivement à tout amoureux de cinéma, pour un enrichissement personnel certain.