« Chasse à l'homme », long court métrage de trente minutes qui a eu la carrière exceptionnelle d'être sélectionné dans une cinquantaine de festivals à l'étranger, est aussi le film gay le plus controversé de ce début de décennie. Dans l'hexagone, beaucoup ont crié au scandale, au film homophobe, au cinéma raciste qui regarde droit vers l'Occident. En effet, réécrit à partir d'une nouvelle de Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal, le film de Stéphane Olijnyk est un film de combattant politique, droit descendu de l'union de Constantin Costa-Gavras (Gavras, le nom du héros) et d'Yves Boisset. Il faut en avoir le courage. Et du courage, Olijnyk n'en manque pas, c'est sa qualité principale. Le film très plastique, plasticien, à l'image et aux bruitages froids et léchés, au son multicanal, en fout plein la vue. Les acteurs déjà, des bombes à fragmentation, aux tatouages celtiques et aux muscles de gladiateurs, vont se livrer un combat sans merci, un matin d'hiver, dans la forêt humide. Le jeu de rôles mal défini (on pense à un jeu de Clans, Nature ou Masters, où des homosexuels se chassent, le week-end) s’avère être la poursuite impitoyable des hommes du GIGN (Groupe d'Intervention de la Gendarmerie Nationale) aux trousses d’Abdelkader, un « tronc de figuier » (insulte skin, proférée dans le film). C'est bien parmi les troncs de cette forêt glacée, qu’Olijnyk, lui, joue à être Bambi, à construire les scènes avec un air de ne pas y toucher, pour tirer le spectateur vers le sordide. On y verra la touche de ses maîtres ou d'autres, Serge Leroy (« La Traque », 1975), qui transformèrent les sujets de société en grands films politiques. De ses racines ukraino-norvégiennes, il bat l’omelette à chaud : Abdelkader, un garçon de cité, « qui ne fume pas, non pas parce que le Prophète l'interdit, mais parce qu'il est asthmatique », prie Allah et Mahomet en faisant ses ablutions dans un trou d'eau, comme Narcisse, et pour qui le Coran est « fourni avec les armes et la manière de s'en servir ». Pour Abdelkader, l'important c'est la révolution et de dire merde à la République. Pour Gavras, à l'inverse, le soldat d'élite, « fils de pute et fils à papa », tous ces trucs de barbus, c'est de la vie de merde. Les joutes verbales ébranlent, et pour nous, spectateurs, ébahis par tant de rancoeur, l'affaire se corse quand Abdelkader séduit Gavras, en lui baissant la braguette, et lui suce la bite. Étirés dans les feuilles, ils vont s'aimer. La photo sublime l’union de la nature et des corps musclés. Là où Olijnyk emballe, fait preuve de courage, comme susdit, et de génie, pour un si jeune homme, c'est qu'au final l'Arabe, étranger camusien (la guerre d'Algérie n'est jamais finie), va descendre Gavras, d'une balle dans le dos, comme le font les traîtres, lieu commun de service. Gavras, lui, il commençait à s'attacher, à apprécier la fraternité interraciale. Il part finalement vers une « éternité de pouilleux ». On aime ces scènes de chasse parmi les aboiements des chiens renifleurs et les halètements. Olijnyk aveugle là où les Bambi sont rois : il souffle dans nos coeurs le mal du coeur des hommes. On assiste ici à la naissance d'un golem qui se fait dans l'humus. Il n'a peur de rien. Sans morale et sans dogme, sans blanc ni patriote, pour lui, le grand coup dans le dos, c’est de l’homosexualité ordinaire. « Je suis Olijnyk », la frime totale. (Hervé Joseph Lebrun)