Hollywood fait ce qu’elle peut ; la boîte de Pandore ne fonctionnant plus qu’au recyclage, c’est au tour d’une pierrerie un peu toc de renaître aux yeux du grand public. « Top Gun » en avait-il bien besoin? Quid du regard nostalgique sur les années 80 et la récupération d’une masculinité huileuse mais pleine de refoulé sous la panoplie du bon pilote américain?
C’est peu dire que ce lifting a débranché toute réflexion et tout regard ironique sur un spectacle qui semble aujourd’hui bien daté. Hollywood joue donc au souvenir amusé, posant un regard complaisant sur l’ancien pour se le ré-approprier… à l’ancienne. Pari risqué, et qui s’avère être d’une colossale imbécilité, passée sa sympathique introduction fétichiste. Tout, sous la forme d’une pantomime fordienne, surjoue tant bien que mal le bon vieux mythe du surhomme américain dont la cible est devenue une abstraite figure ; sous la forme d’un « Etat voyou » (sic) qui cache mal ses accointances russophobes post-guerre froide, l’Amérique de « Top Gun : Maverick » est un fantasme libérateur dans lequel les troufions voltigeurs s’en prendraient à n’importe quel état pour lui faire morale et résilience - à coups de missiles, s’entend. Mais comme tout ce programme d’aviation se la joue bon enfant, on suspecte les scénaristes et le metteur en scène de vouloir faire de cette Amérique drapée une sorte de piste pour miniatures, un film d’enfants inoffensifs qui jouent sur leur tapis de sol aux soldats et aux machines. Hypocrisie monstre, qui voudrait se faire passer pour un regard grandi des méfiances extérieures, puisque l’ennemi n’a littéralement pas de visage, tout juste une silhouette de pilote casqué au détour d’une poignée de plans. Fini les Russes, les Arabes et les Chinois ; l’Amérique vise X, c’est-à-dire personne et tout le monde.
Pas même ici ne se pose la question de la métaphore éventuelle de la salle de cinéma comme cockpit élancé dans les airs ; le film se contente de reproduire sans inventivité des images de tutoriel où les aviateurs s’entraînent ad nauseam, tuant dans l’oeuf la prétendue prouesse finale de la mission. En revanche, comment ne pas voir que le film ne vaut pas tant pour ça, que pour ses mâles huileux engoncés dans des costumes sanglés, tournant autour de carcasses brûlées par le soleil californien? Ce trop-plein de sexe refoulé, le film s’en fait la démonstration totalement accidentelle, et le cockpit en déborde : homosexualité tapie, tentative de femme virile, bousculades ringardes, muscles en goguette et transfert de paternité. Le programme aérien tourne au cauchemar premier degré. On se rêverait presque à attendre une mécanique des fluides plus outrancière que les combis en sueur de ce jeu de rôles ridicule (chacun porte un petit patronyme croustillant ; Rooster, Coyote, Cyclone…) où les hommes essayent de pleurer mais n’y arrivent pas, serrés au bas-ventre dans leur corsage de marionnettes. Tout y est un remugle d’Americana cool et fun ; la casquette, le drapeau, le bar à fléchettes…
Comment diable se peut-il que Kosinski, aux manettes du film, ne s’en esclaffe pas pour de bon, au lieu de quoi il continue d’affirmer mordicus et serioso son amour des héros de guerre? Mention spéciale au flashback dans un piano-bar où la scène de liesse populaire se rêve en hommage à John Ford ; c’est plutôt une réminiscence imprévue du cabaret de nazis harassés dans « Les Damnés » de Visconti, ou un proto-Fassbinder auquel on pense, hilares, dans cette imbécile premier degré de légionnaire. Il y a toujours une suspicion à voir une industrie s’ébrouer dans le champ des grandes valeurs nationales sur la place du père et l’affirmation de soi, l’amour des hiérarchies et des machines qui bombardent. La victime centrale et consentante de ce projet ras-la-visière, c’est bel et bien Tom Cruise, un pourtant bien grand acteur qui signe ici un triste pacte faustien sur la jeunesse éternelle. Son costume blanc d’officier, à la fin du film, en dit long sur ce qu’aurait pu être un bel essai de cinéma-figurine s’il n’avait trop cru en ses propres chimères. Peut-être, pour le cinéphile amoureux, s’agit-il de Cruise vengé de l’adultère d’« Eyes wide shut ». Ce serait un bien beau souvenir en offrande à ce film aux intentions surlignées, dont on sort les yeux outrés et le cerveau en maïs.