Le fan-service, le film-doudou lavé plus blanc pour sa ressortie ou son reboot, le legacy-movie,... tous ces concepts constituent des tendances lourdes, presque dominantes, dans le cinéma contemporain…et ‘Top Gun : Maverick’ coche toutes ces cases simultanément, et plutôt deux fois qu’une…mais il fait avec un tel aplomb et fait preuve par ailleurs d’une telle indifférence à d’autres normes invisibles du cinéma d’aujourd’hui qu’on se demande simplement, avec un brin de stupéfaction, depuis combien de temps on n’avait plus regardé quelque chose comme ça. Contrairement à la quasi-totalité des films des dernières années, il ne dit rien, explicitement ou implicitement, haut et fort ou plus discrètement, des problèmes de races ou de genre, d’économie ou d’écologie, et n’inclut aucun personnage non-hétéronormé de manière évidente. Je ne dis pas ça parce que j’y vois forcément un modèle à suivre mais parce que, tout bêtement, ce degré zéro de la conscientisation m’a frappé. Ce n’est même pas que ‘Top gun : Maverick’ prenne consciemment le contre-pied systématique de la norme dans un genre de geste de revanche masculiniste, c’est plutôt qu’il s’en fout complètement, que c’est comme si il n’en avait même jamais entendu parler : il y a des femmes et des minorités dans l’escadrille, caractérisés tout aussi bien (ou tout aussi succinctement) que les autres…mais peu importe car tous et toutes s’effacent devant le seul et unique héros, le point focal de toute l’attention, Tom Cruise, métaphore à peine botoxée de l’Amérique d’autrefois, celle qui avançait bille en tête, ne doutait jamais et se regardait certes le nombril mais bordel, jamais en sanglotant. Dans le même ordre d’idée, lorsqu’il relève la tête et s’intéresse au monde environnant, ‘Top gun : Maverick’ apporte des solutions géopolitiques d’une merveilleuse simplicité. Il y a un pays qui enrichit de l’uranium : on ne sait pas lequel, ni pourquoi il le fait mais on s’en fout car ce qu’on sait, c’est qu’on va aller balancer des bombes sur sa gueule au cours d’une mission presque impossible mais hé, si l’Amérique ne le fait pas, qui va le faire, hein ? Top Gun : Maverick’, c’est le genre de film qui pose ses couilles sur la table et ne s’abaisse pas à vous le signaler parce que c’est simplement naturel pour lui. A côté de ça, il y a bien sûr les appels du pied constants au spectateur, histoire qu’il ne détourne pas les yeux une seule seconde de l’écran : la moto, le soleil couchant, Goose (et son fifils rageux, pour l’aspect legacy), Iceman (et sa maladie pour le End of an era), le nouveau Love-interest en la personne de Jennifer Connelly (elle, elle n’entretient aucun rapport avec le premier film…mais comme il est impossible de détourner les yeux de Jennifer Connelly, ça marche aussi…) et on cale même un final aux commandes du F-14, l’avion que les vrais mecs pilotaient en 1986, pas les trucs pleins de boutons d’aujourd’hui là, conçus par et pour des gamins qui jouent trop aux jeux vidéo. D’ailleurs, toutes ces séquences aériennes, entraînements ou dogfights, sont ébouriffantes et j’avoue franchement que je regrette de ne pas les avoir matées au cinéma sur un écran géant. A chaque fois que retentit ‘‘You’ve been called back to Top Gun’, alors que je n’ai normalement pas d’intérêt particulier pour les avions de chasse américains, je n’y peux rien mais j’ai des petits frissons qui me parcourent l’épine dorsale…et pourtant, je n’ai vu le premier Top Gun qu’une fois ou deux fois, et j’avais alors dans les vingt cinq piges, preuve qu’on évolue ici dans le registre de l’inconscient collectif pavlovien et que ‘Maverick’ a parfaitement réussi son hold-up sur le cinéma de 2022. Peut-être qu’il sort pile au bon moment, peut-être que toutes les étoiles étaient parfaitement alignées, entre le retour d’une bonne vieille guerre à l’ancienne contre l’éternel ennemi venu du froid et la lassitude vis-à-vis des films trop bienveillants et trop propres sur eux…mais ‘Top Gun : Maverick’, bien qu’il fasse partie de ces films pour lesquels on s’impose un petit pincement de nez devant ce patriotisme kassos et ce torrent de poncifs beaufs, sera sans doute l’un des meilleurs souvenirs de 2022. L’un des meilleurs souvenirs beaufs de 2022, si ça vous chante.