L’éternel bashing de Luc Besson se poursuit, et pour des raisons de moins en moins cohérentes. Luc Besson, c’est le réalisateur français qui a voulu, dans les années 80-90, non pas changer ce qu’est le cinéma français, mais apporter sa propre vision du cinéma dans ses films, surtout en les modernisant. Il calquera les modèles standards américains qui sont de toute façon la référence, pour faire des films plutôt censés, tantôt intimistes, tantôt grandioses et épiques. Quoi qu’on en dise, il aura créé quelques chefs-d’œuvre, avant de se lancer dans sa carrière de producteur, qui est ce qu’elle est. Qu’on aime ou pas les Taxi/Transporteur et autres, il aura créé, avec Europa Corp, un vrai studio de cinéma français à la renommée internationale, influent, qui distribue partout dans le monde.Parlons maintenant de Lucy.Lucy est une petite bombe en soi, et je vais reprendre les principales critiques qui lui sont faites.Premièrement, on lui reproche la construction de ses personnages, qu’on dit trop superficiels. Je trouve que le personnage de Lucy, seul central du film, est justement construit de manière intelligente. On n’a pas de background, seulement quelques bribes d’informations : elle a une mère, qu’elle aime, une amie en Corée. Elle y est pour des études, elle sort en boîte. Voilà. Le film part de toute façon, non pas sur la présentation de Lucy, mais en la mettant directement en situation. On ne la connaît pas, on nous la présente à peine, et on la voit se faire prendre de force dans un engrenage infernal ; les seules choses qui transparaissent sur son visage pendant tout l’épisode de l’hôtel sont… la peur et l’incompréhension, que tout le monde aurait ressenties. Coquille vide d’histoire, vivant et éprouvant de manière logique dans une épreuve traumatisante, on ne peut que s’y identifier. Personne de la salle ne peut décrocher du film à ce moment, ni ne pas éprouver de l’empathie pour le personnage. C’est seulement après moult souffrances qu’on finit par avoir la « contamination » du CPH4, et une déconstruction, une déshumanisation de Lucy. Le spectateur, tout au long du film aura l’impression de la perdre, tout en y restant attaché, jusqu’au final, qui est hors d’atteinte de nos sensations. C’est là que les personnages de Morgan Freeman et de Amr Waked (respectivement le philosophe/biologiste et le capitaine de police) sont amenés assez logiquement à être les points d’attache à l’humanité à la fois pour le personnage de Lucy que du spectateur. A force de la voir développer des capacités de plus en plus extrêmes, on peut s’amarrer à la simplicité humaine du policier ou à la logique du professeur. De cette manière, le spectateur ne sera jamais expulsé hors du film, surtout
lors du trip mystique du final
.Ensuite, au niveau de la réalisation à proprement parler, le film est très maîtrisé. Les plans sont complexes, millimétrés, s’enchaînent logiquement, l’action est fluide, les « combats » dynamiques, les « pouvoirs » de Lucy sont mis en avant de manière impressionnante. Seuls les plans des effets du CPH4 dans son organisme sont un peu tordus (cette espèce de trait bleuté ayant l’impression d’une volonté propre… mouais), et le passage
télépathique dans l’esprit de Mr Jang
. Inversement, le final du film, lorsque
Lucy finit par maîtriser l’intégralité de son cerveau, et qu’elle arrive à voyager sur le cours du temps, et à comprendre les fondements de l’univers, dans un traveling spatial époustouflant est tout simplement colossal
, on en est scotché. De plus, la prestation grandiose et contrôlée de Scarlett Johansson offre un personnage et une dimension au film très poussés, Lucy est très impressionnante au fil de l’avancement des pourcentages à l’écran. Le jeu de Morgan Freeman, qu’on lui connait, apporte une figure paternelle apaisante, contrastant très bien et complétant l’ouragan humain qu’est le personnage de Lucy.Je terminerai par le scénario en lui-même, et ce qu’a, en définitive, proposé Luc Besson. On critique le film en lui mettant en évidence que « les 10% de capacités du cerveau humain sont une hypothèse qui a été réfutée, il a été prouvé qu’on fonctionne différemment. » Soit, mais si Besson choisit un postulat qui est bien ancré dans la collectivité, pourquoi le lui reprocher ? De plus, il s’agit là de science-fiction. Quand on va voir un Star Wars, qui défie la plupart des lois physiques (contrôle mental par la Force ? Télékinésie ? Pistolets laser ? Sabres-laser dont les faisceaux [de lumière] ont une consistance proche d’une lame de métal ?), on ne dit rien, c’est dans le délire du film, dans l’univers qui est proposé. Alors, zut, acceptons le fait que, dans ce film, le cerveau humain est comme cela. Il ne s’agit pas d’un film à vocation scientifique, mais d’une œuvre de SF.Je pourrais compléter avec une réflexion personnelle : un point amusant est que jamais Besson ne passe réellement la frontière avec
la religion
. Du moins, pas explicitement. Quand un étudiant demande à Freeman ce qu’il se passerait si un être humain maîtrisait l’entièreté de son potentiel cérébral, j’étais à deux doigts d’entendre la réponse
« il deviendrait un dieu ». J’ai fait inconsciemment un parallèle avec Transcendance, qui, dans un contexte différent, fait justement cela. Et finalement, c’est peut-être bien un dieu (ou une déesse) que finit par devenir Lucy : un pouvoir sur la matière, une capacité à lire l’esprit des êtres humains, le fait de « voir » le temps et d’y voyager, de comprendre ce qu’est l’univers, avec, au final, l’omnipotence qui arrive à son comble lorsque la phrase « I AM EVERYWHERE » s’affiche sur le portable du flic
.Que cherche Besson à faire de son personnage quelque chose d’aussi…
divin
? Ce sera là mon dernier point. Je pense sincèrement que Besson s’est tout simplement lâché. Qu’il s’est dit « ok, je vais prendre un personnage random, et je vais le rendre puissant. » Une histoire épique, un climax décoiffant, c’est tout. Juste une épopée grandiose, sans prétention, sans morale, sans idéologies, juste l’histoire d’une femme qui, d’abord un peu paumée, deviendra un être de puissance, contrôlant l’univers, les gens et tout le reste. A l’heure où les super-héros de chez DC ou Marvel sont exploités jusqu’à la moelle, où des personnages aux pouvoirs extraordinaires sont mis en avant dans une grosse production sur cinq, dans un monde où le fantasme humain est d’avoir plus de pouvoirs, plus de puissance, Besson a juste laissé cours à son imagination, réalisant ce film comme un gosse le ferait
(et là, piou, paf, elle envoie voler dans les airs les vilains chinois, puis pouf, elle se téléporte à l’autre bout du monde, et puis paf y a un dinosaure parce qu’elle a voyagé dans le temps)
, mais d’une manière léchée, esthétique et très maîtrisée. Et ça marche !En définitive, Lucy est un simple divertissement, sans grande prétention morale, mais qui envoie du lourd, du très très lourd.