Festen, loin d’être un film d’auteur inaccessible, est tout simplement une immense claque. Un des premiers films, et un des seuls, à avoir été réalisé selon les préceptes de Dogma95. Si le film sort du lot, c’est grâce aux nombreux paris audacieux que Vinterberg a décidé de relever. D’abord, le film est tourné caméra à l’épaule. Et pourtant, hormis la première minute assez indigeste, Festen se regarde sans nausée, sans mal de crâne. La conséquence de cette habile manière de filmer est, pour le spectateur, une immersion totale dans l’histoire, avec beaucoup plus de puissance que n’importe quel effet spécial. Pourquoi cette immersion ? Il est nécessaire, bien entendu, de saluer le jeu d’acteur, remarquable, de Henning Moritzen, Thomas Bo Larsen, Ulrich Thomsen, et Paprika Steen, tous absolument géniaux. Rarement on n’avait vu des acteurs aussi inspirés pour jouer la vie quotidienne, les petites rancœurs familiales. Mais l’immersion est surtout due à ce que Festen ressemble terriblement à un reportage familial. Les petits fragments de vie que l’on filme pour avoir des souvenirs (Nouvel an, excursion, fête de famille). Car oui, on peut voir Festen comme une fête de famille anodine filmée par un des invités. Anodine, jusqu’à ce que les secrets de famille ressurgissent. A nouveau, le réalisateur se montre audacieux. Pas de flashbacks pour montrer les viols, les incestes, la pédophilie, etc… Tout se passe ici et maintenant, comme le veut la charte de Dogma. Ce n’est pas nouveau : les mots ont plus de poids que le visuel. Le suggéré est plus terrible encore que l’explicite. Seulement, ces vérités sont de plus en plus oubliés par les cinéastes. Dans une période où l’on repousse un peu plus chaque année la perfection des effets spéciaux, Festen rappelle que rien ne remplacera jamais le vrai jeu d’acteurs et le suggéré. Dans une ambiance à la Chabrol, le film s’enfonce un peu plus dans l’horreur, et, alors que l’on découvre progressivement que le père est un immonde obsédé sexuel pédophile, les invités continuent à manger, comme si de rien n’était. D’abord stupéfait, le spectateur est amené à se poser la question : Comment réagirions-nous ? Les invités de Festen représentent l’homme occidental, persuadé que l’horreur est loin, très loin de son petit cercle civilisé. Si bien que quand l’horreur se présente à lui, il préfère détourner le regard, continuer à vivre comme si de rien n’était. Les invités sont tous des Candide, fuyant la guerre pour continuer à croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est sans doute lors de cette scène finale que notre envie de vomir atteint son paroxysme : quand le père reconnaît les actes criminels qu’il a commis, mais que personne ne réagit. Personne ne quitte la table, personne n’appelle la police… Festen n’est sans doute pas le film à regarder tous les jours, mais en quelque sorte, il est nécessaire. La question que l’on se pose à la fin du film : Etait-il obligatoire de pousser aussi loin le mauvais goût, est-ce une vraie réflexion, ou une envie de choquer ? Car il vaut mieux vous prévenir : Old Boy a côté, c’est du petit lait. On ressort retourné de Festen. A voir une fois, mais sûrement pas deux !