Très bon film de Thomas Vinterberg (dont je poursuis la filmographie à rebours, après avoir été ravi par Submarino), une histoire magnifiquement torturée de viol père-enfants, raconté et vu par les enfants eux-mêmes âgés à l'époque narrative de la trente-quarantaine. L'originalité de Festen tient dans le parti-pris quasiment "idéologique" de sa réalisation, puisque Festen est, avec le délicieux Les Idiots de Lars von Trier, le premier film «labellisé» Dogme95. Co-fondateur du mouvement avec Lars von Trier, Vinterberg suit donc ici à la lettre les principaux (pas tous, faut pas déconner) des dix critères du "Dogme"; pour léger rappel, notamment caméra à la main ou à l'épaule, format standard en 35 mm, pas d'éclairage surajouté, pas de son qui ne soit produit «dans l'image» et réciproquement.... Le résultat est quand même réussi je trouve : l'oeil n'est plus omnipotent, stable, assuré, il est humain, tremblant, perspectiviste ; mieux, l'oeil n'est plus neutre, «objectif», il est subjectif, désireux, vicieux parfois, partial toujours. Ce que recherche le Dogme95, c'est évidemment un retour au «réalisme» (selon le mot savoureux de Robbe-Grillet, tout artiste a «sa» conception du réalisme et de la réalité qu'il oppose aux réalismes des autres ; mais enfin, on comprend le sens de réalisme ici : moins de fards, moins d'effets spéciaux et d'artifices de toutes sortes versus les saloperies américaines, davantage de vérité grisâtre, de «vraie vie» comme l'on dit pourtant si horriblement...).
Bref, première séquence absolument décalée : un homme, Christian (Ulrich Thomsen), marche seul sur une route champêtre traînant avec lui des bagages. Rien à l'horizon, ni derrière ni devant. Une voiture s'arrête, un second homme le salue chaleureusement – on comprend qu'il s'agit du frère de Christian, id est Michael (Thomas Bo Larsen) – et fait dégager sa femme et ses deux enfants de la voiture pour continuer la route avec son seul frère, qui ne bronche pas. Le début ne ressemble à pas grand-chose, une espèce de trou noir par lequel le réalisateur veut rompre toute convention et engager son spectateur vers «autre chose», comme un mixte entre humour au millième degré, méchanceté gratuite, et absurde. C'est ce qui plaît ultimement dans ce Festen, au fur et à mesure que les pièces de l'intrigue trouvent leur place dans la grande machinerie méphistophélique imaginée par Vinterberg : c'est drôle par décalage, c'est absolument terrifiant de cruauté, c'est novateur dans la réalisation. L'histoire se déroule dans un château, un château familial, et réunit toute une «cour» d'amis et de parents à l'occasion des soixante ans du paternel-patriarche, Helge (Henning Moritzen). Si l'on saute l'introduction - qui a, comme on l'a déjà expliqué, pour finalité de casser tout horizon de sens préétabli plus que d'introduire le film –, Festen est un huis clos, et un huis clos extrêment bourgeois, avec toute une ribambelle de soubrettes et autres cuisiniers pour servir Helge et sa femme. Sous ce couple patriarchique, on trouve quatre enfants, dont les relations et les caractères vont progressivement dérouler l'excellente intrigue de Festen.
1) La morte-présente : sur le modèle de la figure pascalienne, portant absence et présence : mode d'être intermédiaire, quasi de mort-vivant, de visible/invisible. Comme le Dieu caché, elle est d'autant plus présente qu'elle est absente, une sorte de poids mort que tous les personnages supportent mal, mais à intensité variable, avec du moins au plus : Michael, qui n'en a rien à f*** et n'est même pas allé à l'enterrement de sa soeur, la jeune soeur Helene (Paprika Steen) très marquée, son Helge le père, bouleversé lors de son discours inaugural, et enfin Christian, effondré, sûrement le personnage le plus proche de la défunte, et lié au carré avec elle par la sordide affaire de viol paternel... La morte-présente forme le coin invisible du quadrièdre, que les trois enfants encore vivants complètent ; elle représente le pôle du secret – sous la forme d'une chasse au trésor enfantine, un jeu que pratiquaient également Christian et Helene : c'est Helene qui trouve une lettre de la défunte au terme d'une chasse au trésor assez macabre - message voilé par tout un tas d'indices, et message dévoilant le secret morbide du viol. La morte-présente figure aussi le pôle du non-dit, de ce que l'on sait mais que l'on doit cacher et occulter sous le sceau du remords, de la honte et de l'infamie : la morte présente est aussi silence discourant, silence trop pesant qui dit, qui parle, qui révèle. Silence qui annonce sa propre libération.
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Réalisation impeccable, présence irréprochable des acteurs. Film marquant, réussi, et intelligent : Festen enveloppe son intrigue noire dans une forme alléchante, novatrice et habile. 17/20
La critique complète sur le Tching's Ciné bien sûr :
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