"Dans un monde unifié, on ne peut s'exiler" - cette purée de pois orangée qui imprègne les ténèbres de nos nuits urbaines n'est pas un halo éclairant, mais le faisceau omniprésent de la surveillance, son regard panoptique, verdâtre, thermique, qui fouille jusqu'à l'effraction de nos sommeils. Territoires, mouvements, identités, rencontres, tout est scruté. Mais l'amour demeure imprévisible, irrepérable, abrité. Et les images de ce film nous ouvre l'éventualité spatiale, temporelle, sensorielle, d'une protection, d'un accueil, soulèvent une solution pour se sauver de cette claustration mentale, opèrent spirituellement comme des phrases, répliques choisies, qui s'émancipent du catalogue des seules situations permises, des gestes autorisés, motifs foisonnants nimbés d'un voile de fonds de nappes synthétiques, contre-envoutement effectif, talisman sonore. Comme le montre la séquence d'ouverture, c'est la parole, proférée, nus pieds, texte qui sous-tend le film, depuis son revers, qui précède les images, imprime sa plasticité, son tempo si singulier, ses accélérations, suspensions, flottements, la diction des comédiens, leur ballet mouvant, jusqu'aux sursauts passionnels du danseur de flamenco. Les deux auteurs questionnent notre rapport à la catastrophe, avec le calme articulé qu'exige l'état d'urgence, rendent visible cette guerre civile en cours, politique, mais pas seulement : un combat aussi spirituel que physique, chorégraphique, poétique, symbolique, où l'ivresse de la liberté de geste, de penser, de parole, relationnelle, accomplie dans l'insouciance ou réfléchie, pratiquée avec la magie d'un exorcisme nécessaire et ultime, ouvre la béance de nos espoirs, épouse nos errements, amène à l'occasion d'un recours aux armes miraculeuses, lettres détournées, sorts incandescents jetés aux documents administratifs qui répandent une mort virale mystérieuse, baptêmes résurrectionnels, rêves peuplés d'animaux sauvages, peintures rituelles murales, - refuges narcoleptiques - visions d'une tête de bison - où ce que dit cette jeunesse et comment elle le dit et le discute est plus important que l'expression de son visage. Remarquable Luc Chessel. "Poète, c'est héroïque"