Le dernier film de Xavier Dolan est remarquable et peut prétendre au titre de chef-d’œuvre pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, parce que les acteurs sont extraordinairement bien choisis et leur interprétation est magnifique : Melvil Poupaud incarne, dans toute sa complexité, un homme qui, justement, cherche ce qu'est l'homme, ce qu'est l'humain ; Suzanne Clément, déjà présente dans le précédent film de Dolan, interprète ici la compagne de cet homme à la recherche de soi et constitue son équilibre parfait, l'un ne peut pas exister sans l'autre (le film aurait d'ailleurs tout aussi bien pu s'appeler "Fred Anyways", prénom à la fois masculin et féminin, tout comme "Laurence"). Nathalie Baye incarne la mère de Laurence : il fallait bien que cette instance maternelle soit présente pour accompagner la transformation de l'enfant (car Laurence peut, à juste titre, être considéré comme un enfant, c'est-à-dire un être qui essaie de prendre une parole interdite et de se revendiquer comme sujet). On notera à ce titre une des scènes exceptionnelles du film, celle où la mère et le fils se retrouvent après des mois de tension, le tout accompagné par la cinquième symphonie de Beethoven.
Ensuite parce que la fable du film (que de nombreuses critiques ont réduite à la transsexualité) n'est qu'un prétexte. On pourrait comprendre que la durée du film (trois heures) décourage de nombreux spectateurs : et pourtant, cette durée, on arrive à l'oublier. Car Xavier Dolan n'a pas réalisé un film "social" mais une véritable œuvre d'art : on oublie, durant ces trois heures, que nous regardons l'histoire d'un transsexuel (ce terme lui-même est extrêmement réducteur). On oublie jamais, en revanche, que nous sommes face à une histoire d'amour (impossible ?) car l'amour que se portent les deux principaux personnages est incommensurable : il s'agit d'un amour où principe masculin et principe féminin se trouvent réunis, où les deux amants ne font qu'un (car la femme que Laurence cherche à être, n'est dans le fond qu'une esquisse de la femme avec laquelle il partage sa vie). L'affiche en dit, à ce sujet, assez long...
Enfin parce que le film est splendide d'un point de vue esthétique, que ce soit par ses plans, ses couleurs, ses costumes (qui, comme toujours dans les films de Dolan, semblent se situer à l'enchevêtrement de plusieurs temps et de plusieurs modes), le choix des musiques (on appréciera à ce titre la scène du bal, très kubrickienne, où Fred évolue sur une musique "kitsch" des années 80). On remarque également le traitement qui est fait du temps : le film fonctionne par ellipses et s'étale sur plusieurs années, comme pour signifier la recherche de la femme perdue, de la / du Laurence perdu(e).
Un film d'une virtuosité exceptionnelle, révélatrice du talent de son jeune réalisateur (dont il peut paraître difficile d'attendre mieux désormais), et époustouflante par le jeu des acteurs : car, tout comme Laurence homme et Laurence femme ne font qu'un, acteurs et réalisateur ne font également qu'un.