On passe un cran au-dessus avec Laurence Anyways. Dolan ne parle plus de lui, il a fini sa psychothérapie (du moins on peut le croire) et aborde désormais un thème peu commun au cinéma, un thème qui lui est cher, puisqu’il suit la problématique des sentiments de deux femmes, l’une complètement désorientée par l’autre…qui est un homme. Pourtant, d’un homme, Laurence n’a conservé que ce que la nature lui a donné, car son apparence est celle d’une femme. Il se sent mieux comme ça, il se sent lui-même, et il ose affirmer cette différence, d’abord devant sa classe – il est instituteur et poète – puis, une fois renvoyé à cause des plaintes de parents d’élève, devant la société, le monde. Même si au début, il souffre de cette solitude qui le confronte à la norme, il devient peu à peu mieux dans ses pompes, et une fois accepté par sa mère (quelle bataille !), il ne reste plus qu’un tout petit problème : s’expliquer avec Fred, son ex, effondrée face à ce changement. Elle l’aimait jadis, d’un amour passionnel, elle l’aime toujours, mais d’un amour destructeur. Ce qu’elle ne parvient pas à accepter, c’est que son compagnon veuille devenir une femme alors qu’il reste hétéro. Leur relation est faite de retrouvailles, d’adieux, d’engueulades, de réconciliations : comme l’amour qu’Hubert porte à sa mère dans J’ai tué ma mère, c’est instable, fondé sur les aléas de sentiments contradictoires qui s’entrechoquent. Et forcément, ça mène à une frustration mutuelle, où l’un revendique sa différence en voulant la sortir de la marge, et l’autre n’arrive pas à s’y faire.
Si le scénario est cyclique, répétitif, Dolan réussit à rendre chaque période différente de la précédente, par une maîtrise habile du rythme, d’où se dégage ce curieux mélange de délicatesse et de rage. C’est surtout la réalisation qui vaut au film d’être regardé jusqu’au bout. Elle s’est affinée, perfectionnée en trois ans. A présent, c’est un véritable foisonnement de vies qu’elle s’applique à montrer, avec le même genre de séquences qu’auparavant. La musique a toujours une place prépondérante, c’est même ce qui exprime le mieux le trouble, la perdition des personnages, comme leur parfaite entente, leur bonheur grignoté en cachette. Elle nous assourdit même parfois, comme pendant les fêtes où Fred avance au milieu de la foule au ralenti, admirée, remarquée, ou encore pendant le coup de gueule au début du film dans la voiture, où toute l’idylle du couple est détruite par la vérité de Laurence. Mais la scène la plus marquante reste celle du restaurant, pendant laquelle la patronne lui pose des questions gênantes à propos de son changement de personnalité. Fred a vite fait de l’envoyer balader avec une réplique sèche, agressive, pleine de confusion comme Dolan sait si bien les écrire. Sa caméra est rarement fixe, elle bouge en permanence comme l’âme des protagonistes. Mais là où ça pêche, c’est dans le scénario. Pas au niveau des dialogues – très bien écrits –, plutôt sur l’évolution des situations, qui suivent le schéma interminable du couple indécis, donnant ainsi une forte impression que le film ne sait pas comment se terminer. Certes, vue la durée (2h50), on peut parler du fresque, mais uniforme dans sa narration, riche que par le talent technique de son réalisateur et de ses acteurs principaux fantastiques. On ne va pas départager Melvil Poupaud et Suzanne Clément, ça ne servirait à rien. Il n’empêche, Laurence a beau faire, les traits de son acteurs, très durs, trahissent toujours son sexe, et pourtant, il nous apparaît femme, tant par l’allure que par les paroles. « Ca fait du bien de voir dans la glace le reflet que je voulais voir depuis toujours. » On finit par un flash-back, qui explique, mieux que tous leurs débats, que Laurence restera Laurence. Homme ou femme. La preuve d’un espoir dans l’avenir, dans les autres.