Au moins, et comme souvent lorsque j'accumule les films d'un même réalisateur, je sais finalement quoi penser de Xavier Dolan. Je sais que je ne l'aime pas. Pour Laurence Anyways, c'est quand même un sacré gâchis, parce que comme toujours, l'écriture de la trame narrative me parait très juste, de même que les personnages. Si je n'aime pas sa façon criarde de les illustrer, les canevas du jeune canadien sont toujours écrits avec intelligence, subtilité et ce qu'il faut de nuances. Ce qu'il manque à sa mise en scène, en somme, mais cela j'y reviendrai plus tard. Ici, l'histoire de ce changement de sexe n'a rien d'un pensum pro-transgenre, ce que je craignais au départ. Non pas que je refuse à ces gens le droit d'exister, bien sûr. Mais justement, parce que ce droit me parait un truisme, et que l'art se doit d'aller bien plus loin que ce genre démarche moralisatrice, attitude qui m'exaspère au plus haut point, quelle que soit l'idée défendue et ce que je pense de sa légitimité. C'est ce que fait Laurence Anyways, dont certains se plaignent du récit, qu'ils disent n'aller nulle part, ne véhiculer aucun propos de par son évolution. Au contraire, c'est là que se trouve l'essence de ce scénario, ce qui justifie sa longueur, également. Laurence Anyways est l'histoire complexe d'un homme, de ses multiples embranchements et de ses tenants pluriels. Loin de célébrer un mouvement, un genre, des genres, le film est une intelligente démonstration de l'unicité de chaque être, attentif à chaque personnage et soucieux de les laisser s'exprimer. Démonstration d'autant plus percutante qu'elle n'en est pas une, puisque comme je l'ai dit, Laurence Anyways dit tout en ne disant rien, raconte une vie et laisse sobrement s'en dresser les constats sur ce que signifient le sexe et l'identité. Voilà pour le fond, très réussi. Las, il est très desservi par la forme. Dolan signe à nouveau un traitement boursouflé, sur-signifiant constamment chaque idée. Pour un plan qui sonne juste, je peux en compter trois ou quatre dont la démesure saborde toute émotion. A l'inverse, deux des plus beaux moments que m'a procurés le film viennent de money shots d'écriture, d'instants fugaces et subtils qui, loin de toute esbroufe, font gagner le film en profondeur véritable (la réaction de la mère suite à l'annonce du changement de sexe de son fils, et la drague amusée d'un gamin du haut d'un balcon). De même, j'ai encore eu énormément de mal avec les changements de ton et les ruptures narratives incessants. A moindre dose, on pourrait y trouver une sorte d'euphorie vitale, juger que le procédé charge ce cinéma d'une énergie toute à lui. Pour moi, tout cela vire presque à une hystérie dont les décalages sont par moments fatals à l'immersion, créent un déphasage vis à vis d'un film dont la cohérence fuit par tous les interstices. Très bien écrit mais très mal dosé, Laurence Anyways me confirme dans l'image que gardera sans doute à mes yeux Dolan, celle d'un homme intelligent mais d'un metteur en scène quand même bien sur-côté.