En préambule, je dois dire que j'ai grandi dans les années où Queen connaissait son plus grand succès et je me souviens avoir vu le concert Live Aid à la télévision. Je n'ai jamais été un grand fan de Queen ; je trouvais certaines de leurs chansons excellentes, superbes, géniales, mais la très grande majorité des autres très oubliables.
Un paradoxe du groupe tenait précisément dans cette voix si spectaculaire dont était doté Freddy Mercury. Il faisait preuve d'une grande virtuosité et maîtrise, mais pétri d'un classicisme parfois encombrant, de par sa formation musicale. Cela participe évidemment de la signature musicale du groupe identifiable entre mille (pain béni pour les marketeux), mais cela entraîne une relative monotonie quand on écoute un album du début à la fin, heureusement compensée par une audace musicale apportant plus de variétés et d'éclectisme. Reste que cela me donnait souvent l'impression qu'il y avait des "occasions ratées" dans certains morceaux pour lesquels son chant trop lisse, trop "parfait", faisait perdre un peu d'âme, mettait trop de distance entre l'émotion visée et le résultat obtenu. En revanche, sur les projets grandiloquents, coup de poing, type opéra rock (comme la chanson qui a donné son titre au film), cela faisait des merveilles.
Autre préambule, j'ai adoré **Rami Malek** dans l’excellente série *Mr Robot*. Il est parfait dans le rôle, la série n'aurait pas le même charme sans lui. Il est magnétique dans ce personnage fragile, ambigu, perdu, doté de l'équivalent de superpouvoirs redoutables dans le monde connecté, et son jeu me parait incroyablement juste dans cette série.
Quand j'ai appris qu'il allait jouer Freddy Mercury, j'ai tout de suite vu pourquoi on a pu penser à lui ; j'avais aussi la vague impression que c'était une fausse bonne idée. Cette grande mâchoire anguleuse le rapprochait d'une ressemblance physique assez immédiate avec le chanteur de Queen... Mais c'est bien la seule chose qu'ils avaient en commun.
Autant j'ai trouvé le comédien **Gwilym Lee** qui joue **Brian May** (le guitariste) absolument stupéfiant de ressemblance, en particulier dans la façon de parler, de se tenir, autant j'ai eu un gros problème à voir *Freddy Mercury* dans ce personnage tout en fragilité infantile incarné par *Rami Malek*. Premier gros point d'achoppement pour moi. Le *Mercury* du film n'a pas grand chose à voir avec l'image que j'avais de *Freddy Mercury* dans les années 80/90.
Après avoir vu le film, j'ai eu un doute : est-il possible que mon souvenir soit défaillant ou que ma perception d'enfant/adolescent à l'époque n'ait pas vu cette fragilité mise en évidence dans ce long métrage ? En revoyant des interviews et le concert Live Aid (le vrai), j'ai été rassuré : je ne suis pas fou, c'est le film qui nous a créé un Freddy Mercury sans grand rapport. Le souvenir que j'ai de Freddy Mercury était plutôt celle d'un gars solide (anecdote intéressante : gamin, il a fait pas mal de boxe), qui revendiquait sa virilité, très conquérant sur scène.
Les grands yeux attendrissants de Rami Malek, qui ne cesse de s'émerveiller pendant le concert final m'ont fait une impression très bizarre, façon "uncanny valley" (Vallée dérangeante
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Vallée_dérangeante)) : la performance de Freddy Mercury, le look général, le concert et le reste ont été méticuleusement recréés, et voir le visage de Rami Malek avec ses grands yeux qui semblent ne pas en revenir lui-même d'être là donne l'impression d'assister à une scène de possession démoniaque, comme si je regardait Freddy Mercury sous le contrôle de quelqu’un qui voulait voir ce que ça faisait d’être Freddy Mercury ce jour-là ; très dérangeant. En revoyant le concert en question, cette impression est confirmé : **Freddy Mercury** est bien la bête de scène large d'épaules, qui s'impose, qui respire une certaine autorité et qui donne à son public. Peut-être s'émerveille-t'il de la réponse du public, mais c'est intérieur ; à l'extérieur, c'est le showman qui domine la foule.
Ce décalage m'a un peu gêné pendant tout le film. D'ailleurs au début, je trouvais même que Rami Malek faisait davantage penser à **Prince** qu'à **Freddy Mercury**, avec ses grands yeux d'enfants espiègles, et ses minauderies, et son allure globalement plus juvénile.
Mais bizarrement, je ne crois pas que ce soit le pire problème du film. A la limite, qu'on réinvente un personnage pour que l'acteur puisse mieux rentrer dedans, ça arrive, et ça peut être acceptable. Mais le problème est que le film est globalement mauvais à plus d'un titre, et j'ai du mal à saisir les raisons de l'engouement dont il a été l'objet.
J'ai eu l'impression de regarder la carrière de Queen racontée par Walt Disney : aucun réalisme, tout est caricatural, rien ne parait crédible. On n'apprend rien de sérieux. Le manager à fausse barbe joué par Mike Myers m'a vraiment mis mal à l'aise tellement on avait l'impression de voir un sketch du SNL, mais pas drôle. La musique n'est même pas mise en avant : on entend juste les morceaux les plus connus, charcutés, par petits bouts, sauf lors du concert final. On n’apprend rien sur le processus créatif, le travail de scène, rien de rien.
La réalisation était pénible et maladroite : le montage était globalement très rapide mais avec un rythme indécis, comme si le réalisateur voulait nous signifier une forme de frénésie ou juste qu’il n’avait pas de temps à perdre. J'avais noté que pendant certains dialogues, les plans changeaient d'axe sans raison à chaque échange. En général, je trouve le cinéma de Bryan Singer plutôt fade. Et pour une fois qu'il semble tenter des choses, je me prenais à regretter l'absence d'audace de ses précédents films.
Donc, pour résumer, ce fut une très désagréable surprise. Je craignais d'être déçu, car je me méfie des emballements ; j'avais des réserves sur le choix de *Rami Malek* (et ce malgré ma satisfaction de le voir promu dans un premier rôle dans un long métrage) et quelques images que j'avais vues m'inquiétaient un peu. Mais je ne m'attendais pas à être autant déçu.
Cela m'a moins fait l'effet d'un "biopic" que d'un film de promotion du groupe (voire de Brian May, le guitariste) à l'adresse des gens qui ne connaissaient pas Queen ; un projet pensé par des gens de la communication et du marketing, qui aboutit à un produit générique, un peu cheap (pas en moyen, mais en terme d'écriture et de vision artistique), puéril, qui ratisse très large, ne prend pas de risque, édulcore, simplifie. Bref, qui prend les gens pour des neuneux et compte bien les garder ainsi.
On pourrait comparer ça au film *Purple Rain* si ce n'est que *Purple Rain* est une fiction assumée avec le projet de justifier des performances scéniques très bien mises en valeur tout le long d'une histoire qui ressemble à un fantasme d'adolescent. Si *Purple Rain* avait été vendu comme un biopic, on pourrait dire que ça aurait été le "Bohemian Rhapsody" cinématographique de Prince.