Dans la série des biographies filmées de célébrités du monde de la musique, on avait eu droit à celle de Johnny Cash ou, plus récemment, de Mötley crüe, qui présentaient des parcours et des personnalités larger than life,.Todd Haynes avait joué la carte de l’expérimentation absolue pour tenter de percer le mystère de Bob Dylan l’insaisissable tandis que, sorti dans une discrétion presque totale, le récent film sur Morrissey, forçait la figure pourtant flamboyante de l’artiste à s’effacer derrière un archétype de songwriter juvénile cérébral et torturé. Queen dispose d’un immense avantage sur ceux qui ont essuyé les plâtres avant lui, et c’est sa popularité jamais démentie depuis les presques trente ans qui se sont écoulés depuis la mort de Freddie Mercury. L’écho positif que rencontre le groupe auprès de l’écrasante majorité du public possède toutefois son revers : il ne reste que peu à faire découvrir, puisque tout le monde s’est déjà fait une idée personnelle, plus ou moins juste et crédible, du groupe et de son regretté frontman : On “porte” la vie de Violette Leduc à l’écran (vous savez qui c’est ? Moi, je l’ai su, au moins pendant deux semaines après avoir vu le film) ; au maximum, on ne peut qu’illustrer celle de Queen. Deuxièmement, le fait que des artistes soient célèbres et aimés de tous n’implique pas automatiquement qu’ils aient eu une carrière ou une vie qui sortait de l’ordinaire: en dehors de la mort de Mercury (qui, bien qu’ayant bouleversé la planète pop, n’est mentionnée qu’en conclusion puisque le film s’arrête au Live Aid, en 1985), la carrière de Queen - je parle bien du déroulé de sa carrière et pas de ce que pouvait dégager subjectivement le groupe - n’a rien eu de très excitant, et les quelques éléments qui ressortent du scénario (relation de l’artiste naissant avec une famille qui ne le comprend pas, montée en puissance du groupe, désaccords entre musiciens, tension avec la maison de disque, etc…) pourraient être appliqués à n’importe quelle groupe rock : il devient difficile de raconter une histoire passionnante avec ces éléments. Tentant de contourner l’obstacle, ‘Bohemian rhapsody’ tente alors de mettre en lumière des éléments plus méconnus de la biographie de Mercury : sa relation avec Mary Austin, compagne de jeunesse dont il se séparera lorsqu’il prendra conscience de son homosexualité mais qui restera une amie proche sa vie durant, celle avec Paul Prenter, son homme à-tout-faire, présenté comme un arriviste manipulateur...mais cela ne rend pas les choses beaucoup plus intéressantes. Heureusement pour le film et pour ses investisseurs, ces contraintes n’ont pas empêché grand monde de voir en ‘Bohemian rhapsody’ un véritable chef d’oeuvre, “chef d’oeuvre” étant ici, je crois, le déguisement pratique pour évoquer un fort sentiment de nostalgie pour des années à jamais enfouies dans le passé. A ce compte là, je crois qu’une production Dreamworks consacré aux Popples me ferait à peu près le même effet ! C’est que personnellement, j’ai une relation compliquée avec Queen : il ne me viendrait jamais à l’idée de nier leur importance et il y a un certain nombre de morceaux chez eux que je trouve tout simplement fabuleux...mais je ne parviens jamais à les mettre tout à fait sur le même plan que Led Zeppelin ou les Stones, et les range plutôt mentalement entre les Beatles et Abba. En fait, la musique de Queen irrite les facettes les plus puristes de ma personnalité tout en flattant les plus complaisantes. Evidemment, ‘Bohemian rhapsody’ tient quand même certaines de ses promesses, que ce soit au niveau du casting ou de sa facture musicale. Par exemple, le mimétisme entre Gwylim Lee et Brian May est assez bluffant. De même, Rami Malek, malgré des prothèses dentaires carrément gênantes, se donne à fond, et offre une composition de Mercury, si pas fidèle, en tout cas très habitée. Même remarque pour les scènes de concert revisitées par la fiction, d’autant plus impressionnantes que Mercury était une des plus redoutables machine de guerres scéniques des années 70 et 80. Toutefois, si les reproches adressés au film concernant certaines incohérences chronologiques ne me gênent pas - l’éternel dilemme de trahir l’Histoire pour sauver l’histoire! - je suis plus réservé sur le fait qu’on ait voulu que ‘Bohemian rhapsody’ puisse parler à tous, n’aborder aucun sujet sensible et surtout éviter que toute personne découvre fortuitement par ce biais que Mercury mettait de la poudre blanche dans son nez et son zizi dans d’autres hommes. Ainsi, Les fêtes de Mercury étaient beaucoup plus orgiaques et décadentes que le gentil bal costumé qu’on aperçoit fugitivement à l’écran. Alcoolisé et décalqué à la cocaïne comme il l’était, les débordements étaient plus forts, plus excentriques. Mais ‘Bohemian rhapsody’ ne veut rien savoir de toute ces vilaines rumeurs et on a l’impression que d’une carrière déjà fort classique dans son déroulement, on a fait quelque chose d’encore plus sage et ennuyeux, au point qu’on pourrait sans doute recycler la maquette si d’aventure, les frères Dardenne souhaitaient tourner un biopic des Girls in Hawaii. Au final, il y a un film potable, bien joué par des acteurs qui y croient et qui peut tenir lieu de best-of Live de Queen, mais qui sort tellement peu du rang et fait preuve de tellement d’auto-censure qu’il est difficile de ne pas se sentir floué sur la marchandise. On sait désormais que les excès et la démesure des années 80, digérée par notre époque chiantissime, ça donne ‘Bohemian rhapsody’. On pourrait même en faire une sorte de mètre-étalon...