Senna : les secrets du tournage

Ayrton Senna est un pilote de Formule 1 brésilien qui a couru de 1984 à 1994. Il a été champion du monde en 1988, 1990 et 1991. Il meurt d'un violent accident sur le Grand Prix de Saint-Marin à Imola le 1er mai 1994 à 34 ans. Figure sympathique mais pilote à la conduite vive et agressive, ses dernières années ont été marquées par sa compétition avec Alain Prost (quadruple champion du monde, notamment en 1989 et 1993). Tous ces éléments ont concouru à faire du personnage une légende. A son sujet, le réalisateur Asif Kapadia déclare : "C’était une superstar. Il était suffisamment intelligent pour le savoir depuis longtemps, contrairement aux autres sportifs. Il avait son propre logo, son thème musical et son gratte-ciel. Il savait gérer son image. Ce n’est que récemment que Ronaldo et Federer sont devenus des marques. Senna avait fait la démarche avant eux dans les années 1980. Cet homme était un phénomène et son histoire est palpitante".

L'équipe du film ne souhaitait pas uniquement se concentrer sur la mort tragique du pilote, ("Cela aurait été fascinant mais facile", affirme Manish Pandey) ni se contenter d'aborder son ascension mais désirait s'intéresser à toutes les facettes de Senna, notamment sa spiritualité, comme lorsqu'il déclare aux journalistes en sortant d'une course : "Soudain, j’ai réalisé que je ne conduisais plus mon véhicule de manière consciente. J’étais dans une autre dimension. C’est comme si j’étais dans un tunnel. J’avais dépassé la limite mais je pouvais aller encore plus loin." Le producteur James Gay-Rees explique : "C’est cet aspect spirituel qui attire beaucoup de gens, parce que les grands sportifs évoluent dans une zone, légèrement au-dessus du commun des mortels."

Ce réalisateur britannique qui signe Senna a réalisé en 1997 un court métrage, The sheep thief, récompensé par le Prix du Jury à Cannes. Son premier long, The Warrior, a été nommé pour le BAFTA du meilleur film étranger. Récemment, on lui doit Far North avec Sean Bean et le drame fantastique The Return avec Sarah Michelle Gellar.

Le projet du documentaire remonte à des années. En effet, le père du producteur James Gay-Rees a pu côtoyer le champion de Formule 1 en 1985 lorsqu'il travaillait pour une marque de tabac, sponsor de la voiture d'Ayrton Senna. James Gay-Rees raconte : "Mon père rentrait de chacune de ces courses, en disant toujours que ce jeune homme avait quelque chose d’unique. Peu ordinaire, il se démarquait des autres pilotes. Il était très sûr de lui, avait de solides convictions et son intensité le singularisait."

Asif Kapadia, réalisateur de Senna, n'est pourtant pas un passionné de Formule 1. Il a ainsi adapté sa mise en scène, de sorte que les spectateurs profanes comme lui puissent tout de même s'intéresser au destin du pilote : "Je voyais à quel point Senna était un pilote exceptionnel, doté d’une profonde spiritualité. Aussi, il s’agissait d’épurer le film au maximum pour que quelqu’un qui n’aime pas la F1 (...) puisse comprendre le film, le personnage et se laisser émouvoir par son histoire. Tout tourne autour du personnage. Nous cherchions à faire un film sur la course automobile. Je faisais un long métrage avec des acteurs non professionnels."

L'un des partis pris du film est de faire témoigner différents intervenants uniquement par leurs voix, sans les montrer à l'image. Le producteur Eric Fellner revient sur ce procédé : "C’est ce qui donne au film sa légèreté unique car la plupart des documentaires n’optent pas pour ce procédé. Certes, nous avons du tricher avec la voix off mais jamais nous ne nous éloignons de la période concernée et l’on en apprend beaucoup sur Senna. C’est comme si Ayrton vous racontait lui-même l’histoire tout du long. C’était l’idée maîtresse du discours de Kapadia". Le réalisateur ajoute : "Ce n’était pas évident de convaincre les contributeurs de renoncer à figurer dans le film (...) mais mon instinct me disait toujours de faire confiance aux images. Plus je regardais les archives, plus je me rendais compte qu’elles racontaient l’histoire".

Le destin d'Ayrton Senna contient tous les éléments nécessaires à un bon film. En effet, le documentaire suit une structure classique en trois temps : l'ascension, le succès et la chute. Le réalisateur ajoute : "Il y a aussi Balestre, le sale type, Prost le rival aux quatre titres mondiaux et puis le Senna intime : sa famille, ses petites amies, sa relation au Brésil. De la tension, du drame, de la tragédie, c’est de cette matière que tous les films devraient être faits et en plus, c’est la réalité."

L'équipe du film a dû fournir un travail conséquent pour examiner toutes les pièces d'archives qu'elle avait en sa possession. Le film mêle aussi bien des vidéos issues de Youtube que des séquences en super 8 et 35 mm. Le réalisateur décrit Senna comme "une mosaïque [...] assemblée" :" Si vous regardez de près, vous n’êtes pas sûr de ce que vous voyez. Notre film ne sera jamais parfait techniquement. Vous reculez et vous découvrez alors une belle pièce architecturale à la Gaudi."

Le documentaire ne pouvait pas faire l'impasse sur la concurrence qu'il y avait entre Alain Prost et Ayrton Senna. Cette face plus sombre du pilote a particulièrement retenu l'attention du réalisateur : "Je ne suis jamais vraiment intéressé aux « gentils ». Senna possède une part un peu obscure, ce dont je me suis rendu compte quand nous avons fait des recherches plus approfondies pour le film.(...) Senna (...) est venu en Europe et s’en est pris aux pilotes qui dominaient le circuit ainsi qu’à l’administration qui semblait favoriser Prost."

Parmi les archives dont disposait l'équipe du film, il y en a une qui montre Ayrton Senna un mois avant sa mort à Imola. Lors des essais, le pilote déclare : "Quelqu’un va mourir à cet emplacement cette année". Cependant, l'image n'a pas été conservée au final : "L’important, c’est que le public aime les tragédies, racontées dans leur contexte exact", explique Gay-Rees.

Senna est le premier documentaire produit par la compagnie Working Title Films, à qui l'on doit A Serious Man, la série Les Tudors, Reviens-moi ou encore Shaun of the Dead. "Nous n’avions jamais fait de documentaire avant mais c’est assurément le meilleur medium pour parler de Formule 1", déclare le producteur Eric Fellner.

Le projet est devenu concret lorsque l'équipe du film a rencontré la famille d'Ayrton Senna. Une étape importante dans sa production : "Tout est question de confiance. Chacun doit être assuré que vous ferez au mieux", explique James Gay-Rees.

Même si le film est centré sur Senna, les fondus de Formule 1 auront le plaisir de retrouver de nombreux pilotes de cette époque comme Alain Prost (l'éternel rival), Nigel Mansel, Damon Hill, mais aussi des pilotes de la génération suivante comme Michael Schumacher, Nelson Piquet ou Rubens Barrichello.

En plus d'un film sur Ayrton Senna, le film d'Asif Kapadia est un film sur une époque, celle de la transition des années 1980-1990 pendant lesquelles le pilote a couru dans des championnats mondiaux. Le film a donc un caractère nostalgique certain.