Bon allez, de la merde : je me lâche ! Bah oui, je claque un cinq étoiles pour ce petit documentaire passé inaperçu dans nos salles, mais quel documentaire au final !!! Alors c'est sûr, il faudra peut-être avoir été adepte de Formule 1 comme moi pour être sensible au remarquable travail d'Asif Kapadia... Quoi que, ce n'est même pas sûr. Car c'est finalement ça la force de ce "Senna", cette force qui devrait d'ailleurs être celle de tous les documentaires : "Senna" sait donner de la dimension et de la force à son récit. Au paddock les documentaires qui se contentent juste d’enchaîner les images d'archives et les témoignages ! Ici on se risque enfin à l'immersion dans un monde, on se risque à la recherche d'une ligne forte au travers d'un fait ou d'un homme. Et là, Asif Kapadia y parvient grandement : au-delà de sa grande intelligence à ne construire son documentaire qu'avec des images d'archives (d'une impressionnante qualité d’ailleurs) ; il prend aussi et surtout le temps de reconstituer un monde et un univers, notamment en refaisant vivre des moments haletants de Grand Prix mythiques, caméra embarquée et sons retravaillés à l'appui. Et si Kapadia prend autant le temps de reconstituer cet univers, c'est aussi et avant tout parce que cet univers est celui de son sujet, Ayrton Senna, un homme qu'on n'entend pas présenter comme un grand champion, mais juste comme un simple gars qui a vécu pour connaître le grand frisson, pour rechercher de limite ultime, pour vivre de la « course pure, sans toutes ces histoires de politique et d’argent » pour reprendre ses termes. Or, c'est aussi de ça que le film tire sa force : cette peinture d'un personnage un peu hors-norme du sport automobile au sein d'un monde qui lui suit les normes. Ainsi, au-delà du sport, "Senna" parvient aussi et enfin à saisir un aspect de son temps. "Senna", c'est aussi un regard sur une période où la compétition est remplacée par les querelles d'arcanes ; où le talent est remplacé par l'informatique, et où la technique va repousser les limites de l'humain parfois jusqu'au-delà du muret de pneus... Alors certes, même si au fond "Senna" retombe parfois dans les travers classiques du documentaire narratif, faisant ainsi retomber les moments de grâce, il n'empêche qu'en de multiples instants, il parvient à susciter le frisson, à faire passer le réel dans l'irréel, et surtout il parvient à donner toute la dimension d'un personnage et d'un moment au travers d'un montage ingénieux et d'un retravail de réalisation inventif et guidé par un indéniable souffle de passionné. Alors certes, peut-être ne s'agit donc pas d'une révolution, mais au moins ai-je trouvé dans ce "Senna" un plaisir et une jouissance de l'image et du récit que je n'ai que rarement ressenti ces derniers temps... Alors du coup - et pour une fois – merci le monde du documentaire ! Et je dirais même plus : merci le documentaire sur grand écran !