J'ai rencontré le diable... oui, mais lequel ? L'abominable violeur et dépeceur de jeunes femmes, qui affiche un flegmatisme glaçant (loin du cliché du timbré serial-killer), ou bien ce flic qui, emporté par sa colère et sa tristesse profonde d'avoir perdu sa compagne (enceinte) dans ces conditions atroces, va jouer à
martyriser le criminel en retour, le laissant repartir à moitié vivant pour mieux le reprendre et le passer à tabac de nouveau...
La violence, le sadisme, la vengeance, tout est discuté avec finesse (ce qui n'empêche pas les scènes frontales : attention aux spectateurs non avertis) dans ce récit qui cherche à savoir quand la gratuité des actes commence, quand on doit se demander si le flic a raison de faire ce qu'il fait, quand la cruauté devient un exutoire même pour le plus droit des Hommes... On se questionne sans arrêt, on ne sait plus trop si on aurait réagi comme cet homme à qui on enlève tout, et qui a l'occasion de se venger, on ne sait pas jusqu'à quel point la "justice par soi-même" est une bonne idée, et c'est précisément dans cet état d'hébétitude que veut nous emmener J'ai rencontré le Diable. En vérité, à interroger sa propre moralité, on trouve, nous aussi, un Diable intérieur qu'on ignore, ne s'émeuvant pas des actes de barbarie endossés par le monstre ("bien fait."). De part et d'autre de l'écran, tout le monde rencontre le Diable. Mais, comme le film ne s'arrête pas à son constat pessimiste de la violence qui répond à la violence, on aura tout de même droit à un final surprenant, qui refuse la catharsis gratuite qu'on craignait, qui a l'intelligence de nous enlever la scène gore et défaitiste ("Le Mal engendre le Mal, voyez ce flic droit dans ses bottes qui, comme le lui signifie le Monstre, est devenu comme lui"), pour nous soumettre une morale de l'entre-deux, pas forcément très en adéquation avec le principe de justice (
le tueur n'aura pas de procès, le héros se soulage par le simple fait de n'avoir pas tué directement le Monstre
), mais pas forcément très immoral non plus (
est-ce que nous, spectateurs, qui avons vu l'immondice de cet homme, qui avons partagé la souffrance du flic, qui avons assisté au dernier speech qui dit qu'il recommencera encore et encore, avons envie sur l'instant que ce gars s'en sorte avec son sourire insupportable ? Vous l'aurez compris, on a trouvé notre Diable : non, on ne veut pas.
). C'est par la brillance des acteurs (excellents) qui nous font viscéralement compatir ou conspuer leur personnage, c'est par la mise en scène inspirée qui nous épargne le surplus de gore pour pouvoir en suggérer plus (en dire moins, pour en dire plus), c'est par son final qui nous laisse le jugement moral entre nos mains, sans nous donner de prêt-à-penser (quoi que votre conscience vous dise, le film valide), c'est avec l'envie de retourner l'écran et de nous regarder droit dans les yeux pour nous demander si l'on a une once de sadisme qui traîne ("Sinon, pourquoi as-tu lancé ce film, pourquoi n'es-tu pas triste pour le méchant ?"), qu'on se fait réellement peur avec J'ai rencontré le Diable.