Les noms de Kim Jee-Woon, Chun Kook-Haun ou encore Oh San-Ha ne vous disent rien? Mes amis, il est temps de sortir de sa tanière occidentale en vue d’explorer un cinéma coréen en pleine expansion. L’homme est un animal, le pire des animaux. Le propos est ici soutenu par une barbarie d’une rare éloquence qui trouble autant qu’elle émerveille. Comment ne pas succomber aux charmes d’un acteur tel que Kook-Haun alors qu’il interprète ici le psychopathe le plus emblématique du septième art depuis Jack Nicholson dans Shining? Bref, vous aurez compris ma fascination pour j’ai rencontré le diable, film puisant sa force dans la douleur, le sang et la noirceur de l’âme humaine, alors que nulle morale poisseuse à l’américaine ni explication vaseuse à l’européenne ne viennent entacher une démonstration de violence d’une élégance très rare, un face-à-face le mal absolu et l’autre face du mal, le mal naissant de la souffrance, dans la vengeance et l’effroi vis-à-vis d’autrui.
J’ai rencontré le diable est en effet une histoire de vengeance, sauvage, non arbitraire, ciblée sur un meurtrier d’un sadisme olympique qui verra ses plans pervers et destructeur mis à mal par le fiancé d’une femme qu’il venait de découper en morceaux, le viol nous ayant été épargné. Un film policier, s’il en est, qui verra l’homme viré à l’animal afin de traquer le diable. Le diable quant à lui, trouvera sur sa route, son démon à lui, chacun devant subir son lot d’atroces souffrances. Un face-à-face ébouriffant qui laisse le souffle coupé, dans l’atrocité de son propos, distant le minimum requis de la réalité pour ne pas être évasif et juste ce qu’il faut pour choquer son petit monde. L’ensemble prend des allures de Western, alors que le monde coréen dans lequel évoluent nos deux personnages semble rongé par un mal insidieux, du gite cannibale aux voleurs de taxi sanguinaires. Non content de voir ses personnages s’entretuer à petit feu, Kim Jee-Woon ajoute sur leur chemin tortueux quelques obstacles fâcheux qui permettraient presque de rire de la situation, un coup de génie.
Il n’y a pas de barrières, pas de limites au débordement de la situation. La Police, en retrait, ne fait que constater, désuète, le jeu de mort qui se trame dans son dos, ramassant les cadavres et autres joyeusetés sur le passage des deux monstres, l’un né comme ça, l’autre forcé par le destin à le devenir. Le jeu est sadique, pervers, dans le sens où l’on ne se contente pas d’illustrer la violence de la vengeance, mais profitant de l’occasion pour démontrer la déshumanisation d’un homme qui croit sauver son âme en plongeant la tête la première dans les méandres du mal absolu. Si le basculement dans le film d’horreur gore sans fondements aurait été facile, la situation est sans cesse remise à niveau avec élégance, parfois avec humour, afin que le film, policier je le répète, reste un inclassable parmi un nombre faramineux de films du même genre. A vrai dire, jamais depuis le Seven de David Fincher, l’homme n’avait été aussi diabolique envers sa propre espèce, jouissif.
Partant de là, difficile de tirer un trait d’union entre le travail coréen du réalisateur, coréen lui aussi, et son arrivée en fanfare sur le sol américain, tentant de ressusciter le brave Arnold dans le dernier rempart. Si son voyage aux USA n’est pas forcément une catastrophe qualitative, l’on se demande comment l’on peut régresser aussi puissamment, passant d’un chef d’œuvre à un film d’action insignifiant, même si le cinéaste se caractérise par une filmographie des plus variées qui soient. Bref, pour en rester à J’ai rencontré le Diable, il s’agit là tout simplement d’un film immense qui paraît presque criminel de rater, pour tout bon cinéphile j’entends. Une bombe asiatique aussi percutante que celles, occidentales, dont on commence à s’ennuyer éperdument depuis maintenant 15 ans. 18/20