Une succession de plans fixes d’une rigoureuse rigidité dépeint ce qui semble être une « famille » issue d’un autre temps et aux mœurs strictes. Une jeune fille quitte la maison, une caméra à l’épaule nerveuse la suit à travers la forêt. Elle trouve refuge chez sa sœur, dans une maison et une normalité apaisantes. Mais le chemin vers la guérison ne sera en fait pas si aisé…
Grâce à un astucieux montage en parallèle du présent et du passé (les transitions entre les deux époques sont à la fois fluides et subtiles), Sean Durkin plonge petit à petit au sein de la paranoïa de Martha, en expliquant les douleurs d’aujourd’hui, au départ obscures, par les douleurs d’hier. Le réalisateur privilégie le ressenti à l’explicatif (quid de cette secte et de l’enrôlement de Martha exactement ?). Car c’est bien de ça qu’il s’agit, appréhender petit à petit ce personnage de l’intérieur, perdre le spectateur au sein de ses deux personnalités comme elle-même ne sait plus qui elle est. Ce qui est une énigme au départ (et ce dès l’entrée de la salle avec ce titre, certes magnifique et intriguant, mais tout aussi incompréhensible qu’imprononçable et impossible à retenir) prend forme au fur et à mesure que le film avance, et qu’il se fait de plus en plus angoissant et oppressant. A la fin, le spectateur même s’il sait, à l’instar de sa sœur, qu’il ne pourra jamais comprendre totalement Martha, fait corps avec l’héroïne, et ne sait plus non plus si ce qu’on lui montre est vrai ou pas (la scène de la rivière et sa silhouette difficile à identifier en est le parfait exemple).
Dans la construction de cette atmosphère paranoïaque et oppressante, la prestation tout en nuance et en introversion de la jeune Elizabeth Olsen (sœur des deux jumelles) rivalise avec une mise en scène très justement primée à Sundance. Si au départ on pense que les plans fixes glaçants du passé vont disparaître au profit d’un cadre plus solaire avec le retour de la liberté, tout cela n’est que de courte durée, la rigidité du cadre refaisant surface au milieu de quelques instants de douceur pour souligner une angoisse persistante. Les travellings et zooms avant viennent emprisonner l’héroïne. Les faibles contrastes et une photographie plutôt pâle donnent à l’image un côté vaporeux, plus intriguant qu’apaisant. Le cadre s’ouvre et se ferme à volonté, voire se joue du spectateur,
comme dans la scène du cambriolage où Katie apparaît dans un contre-champ inattendu et terrifiant, ou encore dans le plan final, ouvert techniquement parlant (les voix sont hors-champs), mais en réalité complètement fermé, la voiture en arrière plan menaçant directement le visage de Martha. Le piège se referme alors sur les personnages et sur les spectateurs, dans une horreur ultime.
Avec Martha Marcy May Marlene, Sean Durkin signe un premier long métrage déjà étonnant de maîtrise. Intriguant, efficace et puissant, à l’image du titre.
Mes autres critiques sur le-monde-de-squizzz.fr