Elizabeth Olsen va rester une actrice à suivre, elle porte véritablement sur elle tout le poids du film, au sens propre comme au sens figuré. Ce drame aux allures de thriller prend son envol grâce à sa prestation, qui parvient à nous convaincre de ce malaise ambiant et de cette faiblesse physique et mentale. Pourtant derrière ce personnage de Martha se cache une femme forte, capable d'encaisser beaucoup de choses, d'où la contradiction du film, qui mêle force et faiblesse, raison et folie, présent et passé.
Ce sont finalement deux histoires qui nous sont racontées, et les deux bénéficient du même trouble, qui poursuit le spectateur tout le film durant et au-delà. Ce serait mentir que de dire que le long-métrage ne repose que sur Elizabeth. La réalisation et les choix artistiques intensifient l'impact du film à travers une panoplie de choix judicieux. Que ce soit le travail sonore (toujours ce bruit en fond dérangeant quand il le faut), le choix de l'échelle des plans (le caractère très intimiste du film oblige ces approches quasi-constantes auprès des personnages), les couleurs (sombres, trop sombres) et les mouvements de caméra (quelques idées excellentes comme des pivotements lents et délicats au cours d'une même scène, qui nous ancre parfaitement dans l'atmosphère du passage en question).
Casting et direction artistique sont là pour nous garder actif et ils s'appuient comme je l'ai déjà dit sur un côté ô combien intimiste : Les décors sont très simples, les environnements aussi, on pourrait les résumer en une ligne : Une chambre, un escalier, un jardin, un lac. Ce sont tous des lieux où l'on retrouve les individus dans leurs activités les plus personnelles (que ce soit un rapport sexuel, un repas en famille etc.) pour mieux comprendre leur malêtre et deviner à quel point il pèse sur leur quotidien. Car il faut savoir que ce film, en plus de nous livrer une histoire classique, narrée de A à Z, essaie de nous faire prendre conscience d'un malaise profond, qui dure de manière bien plus durable que sur un simple long-métrage, mais qui peut refléter la condition de certaines personnes sur plusieurs années, voir sur toute une vie.
C'est pour cela que le choix d'effectuer un rapport présent/passé est logique (même si troublant au début) car il montre que où que soit Martha, elle est toujours en décalage, qu'il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Est-ce de sa faute ? De celle de la société ? Peu importe, ce qui importe c'est ce décalage et ce simulacre de vie qui devient invivable justement. À partir de là le film aborde plusieurs thèmes : La famille, la confiance, les rapports de forces abstraits en y intégrant des dialogues d'une véritable richesse et menés à la perfection que ce soit par les écrivains ou les interprètes.
Ce qu'on en retient c'est une véritable interrogation sur la condition individuelle dans un ensemble collectif, qu'il soit étranger ou familial, et l'influence psychologique que cela peut avoir sur les personnes. Sans cesse le film gagne en noirceur, au point que l'on finit par se demander : Jusqu'où cela va-t-il aller ? Car il est vrai que l'histoire se révèle assez violente, même si on en a pas conscience à proprement parler puisque l'on vit vraiment chaque séquence au travers des yeux d'une enfant perdue, qui ne mesure pas tout ce qu'elle entend et tout ce qu'elle voit.
Le trouble s'intensifie et le jeu des acteurs devient sans cesse plus agréable, comme les touches artistiques toujours plus ingénieuses – notamment deux scènes qui m'ont marqué : Une où l'on entend les paroles au travers d'une vitre et une autre où une crise fait suite à un fondu au noir très très lent – et on réalise qu'on est devant un film très propre en surface et très sale en profondeur (encore une fois le jeu des contradictions).
On mène la quête d'identité, de recherche d'une place dans la société (avec ce désir de la sœur de Martha de la transformer en jeune femme parfaite – ce qui passe par des retouches physiques –) et qui se termine de manière admirable. On pourrait d'ailleurs effectuer un travail d'extrospection sur la sœur de Martha, dont on perçoit la même faiblesse, présente avant même le début du film.
Finalement, les seuls instants où Martha semble se sentir à l'aise c'est lorsqu'elle nage dans l'eau, ou qu'elle plonge sa tête sous la surface, ce qui est encore une fois très révélateur de son malaise en tant qu'être humain (détachée de la terre – pourtant elle est une jardinière parfaite, que d'ironies et de contradictions –).
Le film de Sean Durkin est donc une véritable réussite dans sa composition artistique et dans son message, et il aborde des thèmes difficiles sans tomber à un seul instant dans les clichés.