C'est toute la mysticité d'Herzog, de l'aventurier Aguirre au flic pourri de "Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans" , qui semble ressortir dans ce documentaire lointain de tout type de filmographie, et finalement si proche des obsessions d'Herzog. Pourtant il ne semble pas si important, à la vue du film, de relier cette plongée spéléologique et philosophique à la carrière du cinéaste, car le film vaut aussi pour lui-même, débarrassé de toute comparaison d'ordre théorique. Peu importe Herzog ou un autre, "La grotte des rêves perdus" est avant tout un testament de la culture, un film-somme qui doit être vu à tout prix pour les nombreuses pensées qu'il soumet au spectateur. C'est tout d'abord l'unique possibilité de voir en mouvements la naissance de l'art chez l'homme, à travers les fresques peintes dans la grotte de Chauvet, à ce jour la plus ancienne découverte artistique au monde, soit plus de 30 000 ans avant nous. C'est aussi la possibilité d'être le visiteur d'une grotte inaccessible, dont les voutes splendides et l'écho humain des traces artistiques demeurantes lui confère une dimension qui dépasse toute notion habituelle d'humanité, de science et de métaphysique. C'est aussi l'occasion d'un vertige, d'un questionnement sans fin et sans fond, l'occasion de comprendre que l'homme a toujours été homme et non primate. Et l'occasion à la 3D, idée géniale du cinéaste, de prendre enfin tout son sens et d'arborer à l'aube de cette nouvelle technologie un sens philosophique profond qui en fait le miroir parfait de ces peintures immémoriales, d'une perfection et d'une imagination qui dépasse nos esprits de supra-évolution. Cet art rupestre et mystique (car il semble fondé sur un temps si lointain et des croyances de métamorphoses animales) est mis en lumière par la fluidité du système de la tri-dimension, non pas en tant qu'effet de déformation mais au contraire, pour une fois, en tant qu'honnêteté visuelle face à la position d'un spectateur contraint à n'être que derrière l'écran, c'est-à-dire contraint de voir sans ressentir, ou du moins à une échelle moindre qui n'implique aucune présence physique. Ce passage de l'autre côté de l'écran est ainsi une véritable trouvaille fonctionnelle qui donne tout son sens à la technologie ; les pierres semblent sous notre nez et à combien de moments voudrions-nous y laisser glisser notre paume sur ses contours! Les atmosphères hors des âges semblent restituées comme si ce décor de la Nature était le dernier endroit du monde à n'appartenir qu'au passé. Herzog filme comme un scientifique, et les scientifiques parlent, expliquent, argumentent comme des artistes. Le rapport entre art et science est assurément la force du film tant la caméra et l'analyse humaine sont un seul et même outil de découverte et de compréhension. La musique du film, superbe avec ses sonorités de contrebasse ou de violoncelle surgies du fond des âges, rappelle une musique première. Le film accumule, au-delà de l'extase proposée, une véritable tension d'archéologue et de spéléologue tant la grotte regorge de coins, de voûtes, d'oeuvres, d'ossements. Les matières et les traits artistiques, tout comme la structure de la roche et les ouvertures qui lui donnent un sens de 'visite' laissent l'impression d'un temple extra-terrestre. Une seule porte, fabriquée après la découverte de la grotte, donne accès à l'intérieur, et c'est par cette même porte que l'on en ressort. C'est comme enfermé dans un autre monde que l'on pénètre dans la grotte comme dans le film, scandé d'explications passionnantes de scientifiques à la compétence stupéfiante et rarement montrée au cinéma. Tout est filmé avec le temps qu'il faut, en détails contemplés et recueillis, la caméra suivant les courbes des dessins comme si elle tentait d'en retraduire l'histoire. Reportage exclusif et passionnant (aucune caméra n'avait été autorisée à entrer à l'intérieur auparavant), ce document rare, d'une haute importance publique et artistique, est une preuve du génie humain et animal, de l'essence de la vie au-delà de toutes considérations contemporaines. La seule question actuelle que pose Herzog se situe dans son Post-Scriptum inquiet, tentation hasardeuse d'élever un autre débat tout à fait naturel et cohérent mais qui n'appartient pas tout à fait au reste du film, gravé dans cette même roche. La boucle est bouclée, en attendant le chapitre suivant.