Plus que de livrer le récit d'une nouvelle famille qui se forme, un thème cher au réalisateur durant toute son œuvre, Miyazaki nous présente son film ultime. Celui qui raconte la relation d'un auteur avec le ou les mondes qu'il crée.
Le titre français ne rend pas hommage à la volonté de l'auteur de faire le bilan de son œuvre, de sa vie et du monde dans lequel il vit. En effet, le titre original est Comment vivrez-vous ? Cette question Miyazaki se l’est posée lui-même avant de se lancer dans la production du film. Sa réponse transparaît à l'écran dans un final plein de symbolisme. J'y reviendrais.
Après l’excellent Le vent se lève qui dénotait par son côté terre à terre, nous avons Le Garçon et le Héron qui tend vers l’exacte opposé. Ici l’onirisme et le symbolisme vont pour une fois prendre le pas sur le récit. La phrase que nous pouvons voir dans le film "Ceux qui chercheront à comprendre, périront" va dans ce sens.
Nous suivons l'histoire d'un jeune Garçon dont la mère est décédée et qui doit faire face à la recomposition de sa famille avec sa tante qui attend un enfant. Quand je disais que Miyazaki avait présenté son film ultime, je ne voulais pas faire allusion à son âge avancé, puisse-t-il en faire d'autres. Je faisais référence au fait que ce film regroupe toutes les thématiques chères à Miyazaki. Du traitement de la seconde guerre mondiale et la politique (le vent se lève, le château ambulant) en passant par la nature (omniprésente dans le film et dans toute son œuvre), l'onirisme, les rapport familiaux (celle que l'on a avec Le voyage de Chiiro, celle que l'on adopte avec le château ambulant par exemples) ou les bouleversements internes d'un créateur (le vent de lève), tout y passe. Ce film ultime c'est aussi une compilation de toutes les esthétiques et éléments de ses précédents films, comme les vagues et le thème de l'océan faisant référence à Ponyo sur la falaise, ou encore des papiers cachant le visage comme dans Le voyage de Chiiro. La forme de ce film est aussi très composite dans le montage, dans son rythme ainsi que dans les changements très rapides de décors et de personnages. Ce film ultime donc c'est un regard en arrière sur ses précédentes ouvres, sur son Œuvre. Si l'on devait résumer plus vulgairement l'on pourrait dire que Le garçon et le Héron est un melting pot de tous les films de Miyazaki. Mais il ne se retourne pas qu'uniquement vers sa carrière et ses précédents films. C'est également pour lui l'occasion de rendre hommage à une foule de films et d'œuvres qui ont pu exercer une influence considérable sur son travail : Le roi et l'oiseau, blanche neige, Les évadés, la montagne sacrée, Balade runner. Je reviendrai plus tard sur l'utilisation de ces références.
Le film est extrêmement déconcertant par ses idées et les directions imprévisibles qu’il peut prendre. Nous sommes transportés ça et là sans réellement comprendre où l’on veut nous amener. Les situations s’enchaînent, s’empilent les unes après les autres. Le récit avance mais nous ne savons pas où nous allons. Ici le parallèle entre le grand oncle, créateur du monde sous-marin et un auteur est frappant. Ils empilent tous deux des idées et voient si cela tient debout jour après jour. On peut considérer que Miyazaki est L’alter égo du grand oncle, un homme qui créer des mondes qu’il s’efforce de maintenir en équilibre. Ce parallèle est d’autant plus marqué par une réflexion centrale du grand oncle au personnage principal. Il lui demande pourquoi il veut vivre dans un monde ou il y a la guerre, le vole et des tragédies. Pour le grand oncle, le monde qu’il a créé est une utopie parfaite. Miyazaki fait exactement la même chose en créant des fictions, des univers utopistes qui donnent la priorité à des thématiques qui lui sont chères. A titre d’exemple on peut citer la nature qui est prépondérante dans l’ouvre de Miyazaki à l’heure ou elle est plus menacée que jamais. Cette notion du dieu créateur qu’est le grand oncle / Miyazaki est montré dans le film lorsque le vieil homme est dans son habitat. Toujours représenté en hauteur, tel un dieu (les perruches qualifient même cet endroit de paradis »), le grand oncle apparait dans un halo de lumière d’une part sur une chaise comme dans La montagne sacrée de Jodorowski mais aussi près d’arches rappelant la place de Tyrell dans Blade runner, cette homme qui créait des androïdes dotés de conscience. Pour terminer ce parallèle entre le grand oncle et Miyazaki, il faut se souvenir du passage lorsque le roi perruche pourfend la table avec son épée. Il en jaillit de l’encre, matériau de base à la création que ce soit pour l’écriture d’un livre (le grand-oncle) ou pour dessiner (Miyazaki).
Mon ressenti est positif. Il est vrai que je me suis laissé perdre dans ce film. Cependant Le rythme, la musique, la diversité des décors et des personnages sont époustouflants. La découverte continuelle prend le pas sur le souhait de comprendre. A noter également que Miyazaki, maitre incontesté de l’animation qui n’avait plus rien à prouver propose à nouveau une animation qu’il n’avait encore jamais faite, il a su se renouveler et je pense notamment à l’incendie de l’hôpital qui était bluffant. Ajoutons à cela une meilleure gestion de l’espace notamment de la profondeur qui rend le tout plus immersif. C’est l’occasion pour Miyazaki de traiter tous ses thèmes et de rendre hommage à toutes les œuvres qui l’ont marqué durant toute sa vie. C’est donc le film ultime du réalisateur, dans lequel le récit lui permet de regarder dans le rétroviseur de sa filmographie. Mais l’on peut aussi légitimement se demander si ce n’est pas non plus un film testament, montrant le souhait de Miyazaki de chercher son successeur.