Cinq ans après Et au milieu coule une rivière, Redford se jette de nouveau sur les droits d’adaptation d’une de ces histoires far-westiennes au long titre & au long ”cours” qu’il affectionne & qu’il va finir par filmer au même endroit. Quand on le voit avec Johansson, on pense à Avengers, mais après juste 14 ans de vie & moitié autant de films tournés, son petit tour au pays des ”howdys” signait en fait à peine la fin du début de sa carrière (elle est encore créditée avec un ”introducing”).
Pour qui en douterait, le réalisateur fait bien en sorte de montrer qu’il aime son pays : New York en 1.85:1 & le Montana en 2.35:1, voilà de quoi prendre la ”proportion” de son amour des paysages & des ciels (qui l’en blâmerait) dont l’esthétique va nous être imposée pendant presque trois heures. Il s’autorise cette fois à figurer des deux côtés de la caméra, & il se donne le beau rôle : cowboy idéal, horseman parfait, homme bien tout court, il voit presque aussi grand que son grand angle & c’est un peu trop. Pas mauvais, mais trop.
La petite hypocrisie redfordienne fait son chemin & ce n’est pas la magie du Far West qui va l’en vacciner. Déjà, tout est si beau qu’on n’arrive pas à oublier la caméra, & à l’oublier lui, donnant ses instructions : après deux scènes sur fond d’arc-en-ciel & quatre couchers de soleil, on se sent presque rejeté, se demandant où est le reste (la famille est mirifique jusqu’au bout, mais on ne la connaîtra pas vraiment en-dehors des photos accrochées au mur, alors on y repense avec un sentiment, là aussi, d’inaccompli).
Ensuite, c’est bien joli de mettre les chevaux au casting à côté des humains, mais de voir qu’il y a deux acteurs par humain, parfois trois (doublure & cascadeur) & plusieurs chevaux par rôle (ce qui ne trompe personne de toute manière, vu tous les faux raccords) confirme l’impression pesante d’une grande farce : on ne demandait pas à Redford d’être en vrai dans les scènes où les animaux ruent (il s’est quand même cassé un orteil donc chapeau), mais l’impliquer tellement dans l’action par effets d’illusion ne compense le fait d’avoir trop soigné son personnage, sans compter que tant de trucages donnent lieu à quelques fautes graves de continuité.
C’est beaucoup parler autour d’un seul argument & c’est biaiser ma propre vision globalement positive que de forcer dans ce sens, mais cet ensemble d’erreurs est prompte à faire sombrer un visionnage captivant en critique acerbe, précipitant le spectateur plus durement dans la désillusion. Surtout que ce n’est pas dans une histoire d’amour molle qu’il se rattrape, ni dans les liens très faibles reliant les humains aux bêtes, bien qu’il s’agit du sujet. Sam Neill est à peine présent & très désinvolte en-dehors de ses deux grandes scènes, Kristin Scott Thomas met longtemps à rentrer dans son jeu & elle est un succédané trop évident d’Emma Thompson (ils la voulaient pour le rôle &, sans savoir cela, je l’ai reconnue dans le jeu de Thomas) & Starlette Johannson dit à peine dix mots à son adoré cheval de toute l’histoire.
Voilà trois paragraphes bien haineux qui me surprennent à l’écriture. J’en tire l’avertissement suivant pour qui veut l’entendre : Redford est un immense illusioniste. Il adore la Nature qu’il filme & il est passionné pour ses sujets, c’est flagrant & il fait sincèrement tout pour nous transmettre sa vision des choses. Au point que son œuvre devient plus vraie que nature, ce qui, ici, n’est pas une bonne chose. Cependant, si j’estime juste de me sentir lésé par l’illusion, il faut savoir reconnaître que la moelle des films de Redford (je pense encore à Et au milieu coule une rivière qui était si dense qu’on avait moins lieu de s’agacer) est toujours magnifiquement fidèle à ses valeurs.
Avec The Horse Whisperer, on a droit à un dépaysement pas mal tourné figurant une citadine qui se purge du poison urbain grâce aux montagnes bienfaisantes du Nord-Ouest. Le côté champêtre, s’il n’est pas scénaristiquement honnête, ne peut être entièrement contrefait, & le Montana suinte à chaque image d’une manière qui nous empêche de négliger la progression de l’histoire d’un point vers un autre. C’est ce qu’on demande d’un film, alors si en plus il est beau, pourquoi en faire un foin ?
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