L’audace de Chronicle, si elle tient bien évidemment à son utilisation intelligente du found footage – puisque la caméra constitue le quatrième personnage du groupe d’amis, elle les suit dans leur initiation à la surnature –, résulte aussi d’un alliage entre les codes du blockbuster mettant en vedettes des super-héros et ceux du teen movie. Nos protagonistes représentent chacun un cliché d’adolescents : l’un est victime de harcèlement et nourrit en lui une violence qu’il peine à contenir, le deuxième est un acteur populaire de la vie de l’établissement, au point d’avoir des ambitions politiques, le dernier doit gagner en maturité afin de reconquérir le cœur de celle qu’il aime. Trois trajectoires que le film fait converger par l’intermédiaire d’un foyer, ce trou dans lequel descendent les garçons et qui les dotera de pouvoirs magiques ; pour autant, et malgré l’enthousiasme procuré par l’exploration desdits pouvoirs – la sensation d’avoir vécu la meilleure journée de sa vie, dixit l’un des personnages –, la fracture sociale et affective demeure. Là réside l’intérêt du présent long métrage, soit son recours au surnaturel pour incarner les pulsions et les traumatismes qui conduisent l’individu à agir ; en insistant sur la précarité des conditions de vie d’Andrew, tiraillé entre un père alcoolique et brutal d’une part, une mère en phase terminale d’autre part, en répétant une humiliation déclinée selon les lieux (le lycée, la rue, le domicile), il construit un avatar du Mal qui cristallise en lui puis extériorise sur autrui la violence subie. Nul hasard si c’est Andrew qui a l’air le plus assuré et pourtant le plus fragile : il demande à ses amis s’ils l’aiment vraiment, non par narcissisme, mais par doute authentique, par méconnaissance de la nature gratuite et désintéressée de l’amour. L’affrontement qui l’opposera à Matt vaut alors moins pour son spectaculaire, quoiqu’il le soit assurément, que pour son tragique : la lutte de deux rapports au monde, aux êtres et aux choses que détermine le milieu comme autrefois, dans une tragédie antique, le fatum. La citation de Schopenhauer, selon laquelle l’homme n’est que le fruit de ses perceptions, prend aussitôt tout son sens et achève d’ériger Chronicle en réussite hybride, située entre les genres du drame intime et du blockbuster de super-héros.