Peu de réalisateurs ont autant incarné l’effervescence créatrice et le goût pour la controverse des années 70 que Marco Ferreri. Auteur viscéralement dégoûté par le monde contemporain, à ses yeux ultime étape de dégénérescence civilisationnelle, sentimental contrarié, polémiste assermenté, Ferreri a toujours exprimé son point de vue négatif et pessimiste à travers les allégories les plus étranges et dérangeantes qu’il pouvait imaginer. Ici, c’est dans un New York cauchemardesque, déserté par ses habitants et envahi par une vermine vouée à dominer un jour la planète, que rôdent les derniers singes évolués de l’Histoire, à la recherche d’un peu d’affection, d’un peu de sens ou plus simplement d’un but pour lequel exister, à l’image d’un film qui se déroule intégralement dans un sinistre climat de fin de règne. Plus précisément, il est toujours délicat d’isoler une thématique particulière chez Ferreri et de séparer le message de la provocation gratuite ou de l’idée surréaliste : par exemple, si on considère le cadavre de King Kong qui gît sur la plage, on ne sait pas vraiment s’il faut le considérer comme un vrai singe que le réalisateur, vu ses finances limitées, ne s’est pas embêté à rendre réaliste, ou si ce colosse allégorique nous dit quelque chose sur l’Amérique de la fin des années 70, qui semblait être du côté des perdants de l’histoire. Souvent, les choix de Ferreri demeurent mystérieux et il est probable que lui-même souhaitait laisser au spectateur une certaine marge de manoeuvre pour mener une réflexion personnelle sur ce qu’il voyait à l’écran. Il semble toutefois assez évident que ’Rêve de singe’ est un film plutôt hostile au féminisme, présenté comme un simple machisme inversé. Ainsi, le film s’ouvre sur le viol de Gérard Depardieu par une actrice de théâtre qui souhaite expérimenter le viol dans un sens qui ne lui soit pas préjudiciable. On peut évidemment trouver l’idée lourdaude aujourd’hui mais son aspect provocateur à la fin des années 70 ne faisait aucun doute. Ceci dit, Ferreri n’est pas plus tendre avec la masculinité : le refus du personnage masculin, présenté comme un être simple et dominé par ses pulsions primaires, de s’engager pour perpétuer l’espèce, alors même qu’il reporte toute son affection sur le petit singe qu’il a recueilli, peut expliquer l’atmosphère d’apocalypse silencieuse qui imprègne le film. Selon le point de vue de Ferreri, pollué par l’assouvissement de leurs pulsions égoïstes, leur individualité excessive, et les idées et valeurs modernes qu’ils se croient obligés d’adopter, les êtres humains ont perdu de vue l’essentiel et sont voués à l’extinction, une vision qui traversait déjà, d’une autre manière, ‘La dernière femme’. Oeuvre onirique et étrange, difficile à synthétiser, qui peut paraître maladroite et bêtement littérale pour un spectateur moderne (entre autres parce qu’il s’oppose frontalement à quelque chose qui n’est plus supposé susciter le moindre débat aujourd’hui), ce surréaliste ‘Rêve de singe’ n’est sans doute pas le meilleur choix envisageable pour aborder la filmographie de Ferreri...mais il témoigne à sa manière du caractère unique et subversif de celui qui se considérait lui-même comme un “artiste du mauvais goût�, à savoir, à ses yeux, l’unique espèce d’artiste à pouvoir offrir un compte-rendu exact du monde dans lequel il évolue.