C'est l'histoire de la métamorphose d'un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l'histoire pourquoi il s'obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l'usage de la parole, le petit, tout petit Kirikou, est insatisfait des réponses évasives que lui concèdent des aînés radoteurs. Sans souffrir de leurs idées, donc pas encore résolu à leurs évidences, il démolit par sa soif du Monde ces raisons infondées prétendant décrypter ce qui fait de Karaba une sorcière malveillante.
Lorsqu'on lui a offert de réaliser son premier long-métrage, Michel Ocelot savait déjà quel serait son sujet. Il a puisé dans ses souvenirs d'enfance et la culture africaine qu'il connaît pour avoir séjourné très jeune en Guinée. Le récit de Kirikou & la Sorcière est globalement issu d'un conte traditionnel, auquel l'animateur a greffé un voyage initiatique absent du support évoqué ; dans celui-ci, Kirikou tuait celle qui terrorisait et asservissait son village. L'approche proposée par le film est même tout à fait antagonique, car si le comportement de l'enfant-prodige est salutaire pour les siens, il est ici motivé par la lucidité et la compassion : d'ailleurs il va au-devant des épreuves, peu enclin à se laisser impressionner par des barrières qui n'ont de dangereuses que les affabulations qu'elles génèrent. Curieux d'un univers dont il aspire à repousser les limites, Kirikou est le seul à humaniser et donc à rationaliser Karaba ; paradoxalement, il est sensible à l'aura que dégage la Sorcière.
On devine à quel endroit le film pourra heurter : alors, prêche-t-il par naiveté en donnant une raison à ceux qui accomplissent le Mal ? Car dans Kirikou rien ni personne n'est irrécupérable, rien n'est dû au hasard : le film invite le jeune public à prendre conscience que le monde qui se prête à leurs yeux est mouvant et surtout que ceux qui le font ne sont jamais complètement définissables. La démarche n'est pas simplement pédagogue, elle est surtout édifiante [au sens premier, celui de l'ouverture à la vertu] ; alors que les films qui leur sont destinés ne leurs offrent que des gadgets paisibles et souriants ou au contraire agités et mesquins, Kirikou & la Sorcière propose au jeune auditoire des personnages tous ambigus, parfois contradictoires, jamais entièrement défendables ou condamnables [cela va sans dire, les adultes et adolescents aimeront, d'autant qu'ils percevront autrement la richesse du film et quelques nuances trop âpres à élucider pour les enfants].
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Remettant en cause les croyances populaires obscur(antiste)s, c'est notamment une fable politique, sur une Afrique engluée par des oeillères complaisantes, sinon résignée : dans Kirikou, les hommes savent qu'ils seront ''dévorés'', ou au moins qu'en allant affronter Karaba, ils n'en reviendront pas : pourtant, tous franchissent le pas, comme dépendants d'un mythe auquel se souscrire est une fin en soi, celle qui atteste d'une existence. C'est plus encore la métaphore d'un certain passage à l'âge adulte, Kirikou devenant un homme une fois en surmontant ses préjugés et surtout un certain désenchantement [regarder le prétendu ''Mal'' et le fracturer], en d'autres termes en s'affirmant pleinement libre et maître de soi.
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