Voilà un film qui ne risque pas de laisser indifférent. Il y a d’abord la violence paternelle, installée dès les premières minutes quand le personnage du père vient chercher (arracher plutôt) son fils Gavino à l’école pour qu’il l’aide à garder les bêtes. Cette scène s’accompagne d’une prédiction étrange à l’égard des enfants qui sont en train de se moquer de Gavino : « Aujourd’hui, c’est mon fils mais bientôt ce sera votre tour ! », comme si le père condamnait tous ces fils de paysans sardes à devoir quitter un jour ou l’autre les bancs du savoir pour retourner au travail de la ferme. Et puis il y a l’âpreté des paysages qui frappe d’emblée : des pâturages boueux, isolés, des monticules de pierre faisant office d’enclos depuis des temps qu’on devine immémoriaux. Au fil de ce début de récit, on découvre des habitants aussi rugueux que les montagnes qui les entourent, s’adonnant aux pires déviances : servitude, fornications en sabots, vengeance meurtrière et même zoophilie !
Mais on aurait tort de penser que l’intention est ici de faire un tableau peu flatteur de la Sardaigne et de ses habitants. Ce qui est en jeu, c’est l’éveil de Gavino. Comme aurait pu l’être tout autre région du monde, le pays dépeint ici, c’est sa prison. Aussi bien culturelle qu’affective. Et son geôlier (son bourreau), c’est son père. L’éveil de Gavino devra inévitablement passer par l’affrontement avec lui, ce « père-patron ».
On plonge donc dans cette relation père-fils difficile mais l’intelligence des Taviani est de ne pas faire du personnage du père une sorte de grand méchant loup. Par exemple, celui-ci se pose dès le départ en instructeur. C’est lui qui se charge d’apprendre à son fils le métier de berger, la vie à la montagne. Ce n’est pas un hasard si l’élément déclencheur de l’histoire de Gavino est cette extraction de l’école. Au savoir scolaire, le père oppose la transmission des gestes séculaires du berger, qu’on imagine hérités de son propre père. Entre deux humiliations, deux bastonnades, il lui donne aussi des conseils sur la vie, fait des plans sur son avenir. Bien plus tard, Gavino se souviendra des enseignements de son père et s’aidera de l’odeur du mimosa pour retrouver une porte alors que ses yeux sont bandés (un pari qui doit lui permettre de prendre des cours d’italien).
Cet affrontement entre le père et le fils est donc violent. Il est aussi complexe. Il s’y joue également les fractures entre la métropole et l’île, entre l’italien et le sarde, entre travail intellectuel et manuel ; chacun de ces éléments venant nourrir une dialectique entre nature et culture dans laquelle s’inscrit la relation de Gavino et son père. Le monologue final de Gavino, alors écrivain et pleinement indépendant, est à ce titre lourd de sens
: ce pays qu’il a tout fait pour fuir, reste et restera le sien - à tel point qu’il craint de perdre la parole, loin de lui, loin « des siens »
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Magnifique final qui clôt une œuvre d’une puissance rare, à la force presque rageuse, ponctuée de superbes moments de cinéma : lorsque Gavino entend de la musique pour la première fois (l’ouverture de « Die Fledermaus »), quand il se sert de cette même musique pour faire des promesses d’avenir, quand il récite Virgile en latin à son ami (joué par Nanni Moretti), quand il récupère sa valise… Padre Padrone est un grand film.