Cinéaste atypique mais aussi poète, musicien et écrivain imprégné de culture punk, F.J. OSSANG met en œuvre dans son quatrième long métrage – Dharma Guns – un univers rare et personnel, aussi beau qu’indéchiffrable, un cinéma de fulgurance oscillant entre immédiateté et opacité.
La première séquence nous plonge littéralement dans l’œuvre, entre le ciel et l’eau du lac, entre réel et imaginaire. Un personnage glisse sur les flots, tiré par un hors-bord où une femme mystérieuse tient les commandes. La caméra est immergée et le passage au noir et blanc se fait, comme pour marquer une distance envers la réalité. Commence alors une très belle scène, mythe d’Orphée revisité, qui s’achève sur un choc, une déflagration, et la chute du personnage. Comateux, transporté en ambulance, il commencera à divaguer. Le film sera à l’image de ces hallucinations : fiévreux et irrationnel. Une perte de repère est à l’œuvre dans ce scénario somme toute assez indigeste qui peut être vu comme le prétexte heureux de l’apparition d’une forme expérimentale et intrigante. Car c’est avant tout d’image et d’atmosphère qu’il s’agit. Les personnages évoluent, se rencontrent, dans une sorte d’ « interzone » apocalyptique et paranoïaque où les initiales DG mènent la danse. Que ce soit pour signifier d’énigmatiques Dharma Guns qui semblent assiéger les humains, ou pour désigner les doubles génétiques qui prolifèrent. Une contamination est en jeu, chimie et codes-barres côtoient les éléments naturels et les protagonistes – Stan et Jon – partent en « chasse ». Parallèlement, Stan cherche à retrouver Délie, femme fatale de la séquence d’ouverture. Ce voyage intérieur de cet homme entre la vie et la mort est traduit par un univers pictural très travaillé, d’une beauté surréelle et poétique. Régulièrement, les mots s’imposent sur l’écran, obscurs cartons métaphysiques, signes évident du désir d’OSSANG de se rapprocher de l’esthétique du muet (le cinéaste est passionné par l’expressionnisme allemand et le cinéma d’EISENSTEIN), tout comme le montre l’usage récurrent de l’iris. Les projections mentales de Stan affluent, les motifs picturaux se répètent, matérialisant sa pensée, ses songes et le passage de cet être entre deux eaux de la vie à la mort. La caméra tourne, nous étourdit, filme l’attrait de la lumière, le sommet d’une spirale d’escaliers, ou bien le décalage de Stan, hébété, face à d’étranges infirmiers. Les personnages, évanescents, se croisent et se rencontrent dans des lieux frontières, entre deux éléments. Ainsi, Stan et Délie s’enlacent, entourés de tableaux, de dessins en suspension, puis se retrouvent à de nombreuses reprises, évoluant dans une eau laiteuse et opaque, éclairés d’un halo de lumière. L’eau est d’ailleurs l’élément dominant sur lequel semble se construire Dharma Guns, pareil à une longue traversée du Styx. Une épaisse brume recouvre les paysages de l’île et se propage à chaque instant, sublimée par la très belle photographie en noir et blanc. Les flots comme l’eau stagnante (aquarium, « crypte ») sont omniprésents. Dharma Guns crée également un très fort jeu sur les matières, les textures avec son utilisation de la brume, l’eau, les effets de voile – tel ce contrejour récurrent de Stan se détachant sur des rideaux diaphanes – la peau du serpent ou encore les matières des vêtements de Délie. Enfin, la bande-son très rock accompagne parfaitement ces images fiévreuses et oniriques et contribue à créer ces instants de grâce et de jubilation qui font le fort du film.
Ainsi, nous sommes plongés dans les eaux troubles d’une aventure dont les codes nous échappent, un cinéma à la dérive misant sur la force suggestive de ses images. Dharma Guns est une œuvre déconcertante, qui nécessite de se laisser entrainer par la volupté des images, la poésie hallucinatoire de ce songe aux dépends d’un scénario complexe et déroutant. Car après tout, « L’homme est un dieu quand il rêve, c’est un mendiant quand il dort. ».