Le titre fait penser à quelque belle histoire africaine pour enfants – impression renforcée par l’affiche, si on la regarde distraitement. Or, s’il est bien question d’enfants, en Afrique (Nord du Bénin, en pays Bariba), et de l’un d’entre eux en particulier, ce n’est pas un avatar de « Kirikou », et encore moins un film d’animation. La documentariste Christine François (tout juste quadragénaire), dont le travail a notamment inspiré Maïwenn pour « Polisse » (« Brigade des Mineurs : l’amour en souffrance » - réalisé en 1998 pour France 3), s’est souvenu d’un début de carrière, toujours télévisuelle, consacré à la fiction, pour écrire le scénario (en collaboration avec trois coauteurs, dont Sophie Fillières, la réalisatrice de « Aïe » et « Gentille »), et réaliser « Le Secret de l’enfant fourmi », son premier « long » de cinéma. Cependant, l’histoire est inspirée par des faits réels, et oscille donc entre réalisme et précisions documentaires d’une part, et un habillage romanesque d’autre part, pour un résultat mitigé. Le cas de « Lancelot » est loin d’être isolé. Les croyances animistes sont encore vives en Afrique (même si les populations sont le plus souvent officiellement chrétiennes ou musulmanes) et les enfants qui naissent « hors normes » - avec des dents, en se présentant par le siège, ou même avant terme - sont réputés porter malheur à leur communauté. Lancelot qui est né porteur d’une dent est immédiatement repéré comme « enfant-sorcier », et ses parents savent qu’il est promis au sacrificateur. En pays Bariba, on réalise l’infanticide rituel en déposant le nourrisson dans un nid de fourmis rouges, afin de laisser la colonie faire son œuvre mortelle. Ailleurs, on les fracasse sur des arbres, ou on les livre à d’autres redoutables insectes sociaux, comme les termites. On dit que l’enfant ainsi abandonné à son horrible sort est « réparé ». Adopté par une Blanche et éloigné, Lancelot semble sauvé, mais son retour à l’âge de 7 ans dans sa région natale le soumet à nouveau à la vindicte villageoise, et seul un providentiel concours de circonstances (et l’intervention de son père qui veut obtenir son pardon pour lever la malédiction qui frappe son couple devenu stérile) le fera échapper à l’enterrement prévu au cœur d’une fourmilière. Autres latitudes, autres mœurs : en Occident tout au contraire naître avec une ou plusieurs dents est considéré comme le signe d’un destin hors du commun (Louis XIV et Napoléon 1er sont ainsi réputés avoir eu au moins une dent à la naissance). On peut cependant rapporter l’antique coutume spartiate consistant à précipiter les nouveau-nés jugés difformes, bouches inutiles pour la cité, dans le gouffre des Apothètes : on devrait alors plutôt écrire « autres temps, autres mœurs » (mais seul Plutarque accrédite cette pratique..). Audrey Dana (« Cécile ») a rejoint la réalisatrice dans sa croisade nécessaire contre cette pratique ancestrale, laquelle commence à trouver heureusement aussi un écho chez les autorités civiles et religieuses (encouragées par les agences de l’ONU en charge de l’enfance) même si les réticences restent marquées dans les tribus concernées. Tourner in situ n’a dès lors pas été simple, dans des villages existants et avec des amateurs quasi uniquement, « castés » sur place dans un souci d’authenticité. Christine François n’a pas réalisé un simple documentaire, simplement sans doute parce qu’il était difficilement imaginable de filmer un abandon et une exposition réels (et de simples témoignages, à les supposer possibles là encore à recueillir sur la base d’interviews, auraient été peu « cinématographiques »). Elle a donc décidé d’un prétexte « fictionnel ». Trois auteurs chevronnés lui alors prêté leur concours, pour mettre au point une dramaturgie et faire évoluer les personnages. Ainsi il fallait, pour entretenir le « secret » romanesque, poser par principe un total manque de curiosité initial chez Cécile (qui ne cherche pas à savoir pourquoi la mère lui confie son enfant, ne soupçonne rien en matière de superstition, ne questionne pas Didier qu’on suppose au fait des coutumes locales etc.), puis imaginer des circonstances de nature à relancer l’intrigue. A cet égard, après des années d’entente fusionnelle entre Cécile et son fils adoptif et une vie sans nuages au bord de la Gironde, l’enfant, qui a maintenant 7 ans, se met à avoir des crises de violence et des comportements bizarres sans crier gare (sauf si son énurésie récurrente était un signe annonciateur ?). Eléments déclencheurs : un dessin « maléfique » suivi d’une « noyade », puis d’une « résurrection » de cartable, et surtout l’arrivée dans son quotidien d’un instituteur noir qui remplace sa maîtresse qui vient d’accoucher – seul gamin de couleur de son école, il semble avoir une peur panique de qui lui ressemble ! Après une peu justifiable (« scénaristiquement ») transe nocturne (qu’un médecin peu avisé identifie en somnambulisme aigu ou épilepsie ?!), Cécile, qui sait pourtant quel effet les autres Noirs font sur Lancelot, décide de l’emmener au Bénin pour des vacances « retour aux sources », en risquant quand même de l’amener à croiser quelques Noirs ! On pourra penser à un « chipotage », mais le reste du récit (tentative tardive de « réparation » comprise) est tout aussi artificiel. Par ailleurs, la très impliquée Audrey Dana mise à part, la distribution « traîne la patte » : Robinson Stévenin semble se demander ce qu’il fait là, et le jeune interprète de Lancelot (recruté en France et n’ayant auparavant jamais mis les pieds en Afrique) est peu convaincant – quant au casting « local » : parfait dans un reportage éventuellement, il peine à s’insérer avec naturel dans la mise en scène, un comble pour de l’ «authentique » revendiqué. Un matériau ethnographique précieux plutôt gâché par un habillage de pseudo-fiction souvent maladroit. On aurait pu aussi imaginer une réflexion générale, au-delà du propos de base sur l’infanticide rituel, sur l’adoption internationale – ce que vous voulait semble-t-il faire à l’origine la réalisatrice, mais qu’elle esquisse malheureusement à peine (à la différence de Bertrand Tavernier, avec « Holy Lola », en 2004).