J'ai hésité au début entre pochade, téléfilm, et film de propag' à la soviétique. J'ai finalement opté pour la version téléfilm, songeant que si un réalisateur français avait voulu consacrer un VRAI film au VRAI Sarkozy, ce film ne serait pas sorti ou pas avant très longtemps, sur le circuit des cinémathèques.
"La Conquête" nous montre une équipe de vieux cancres occupés à s'affronter dans une cour de récré aux allures de république bananière. L'équipe est tout entière soudée derrière son caïd, qui poursuit un et un seul but, l'obsession de sa vie en fait : devenir le président de la république bananière précitée. Face à lui, les caricatures des caricatures en poste au sein du pouvoir en place : le président sortant et son Premier ministre, sosies hallucinants de véracité, incarnés par un Bernard Lecoq et un Samuel Labarthe qui ont dû bien s'amuser à pousser si loin le mimétisme. Et on soupçonne qu'ils n'ont pas eu à surjouer, que les "vrais" sont comme ça, cabots, persifleurs lourdauds au langage grossier, aussi subtils qu'un sketch de Bigard. Pas très différents, au fond, du Sarkozy ministre-candidat, tour à tour à l'Intérieur, aux Finances puis de nouveau à l'Intérieur tout en ayant amorcé sa conquête par l'accession à la présidence de ce qui fut jusqu'il y a peu le parti unique.
On s'amuse bien dans cette cour de récré. On multiplie coups bas, vacheries, trahisons et magouilles. Seule ombre au tableau : Cécilia.
Elle ne veut pas devenir la Première Dame de France, Cécilia, ah ça non ! Elle a un peu envie de s'occuper d'elle, à la quarantaine flamboyante. Autrement dit courir le guilledou avec un bellâtre de publicitaire. Elle en marre Cécilia, de flanquer un guignol accablé de tics, secoué de gesticulations, qui s'écoute bavasser, répéter ses discours creux et démagos, et qui maîtrise si mal la langue nationale du pays qu'il veut diriger depuis tout petit. Même s'il n'a pas beaucoup grandi.
Cécilia veut partir, c'est décidé, mais Nicolas veut la retenir. Dame, il a besoin d'elle pour piquer son fauteuil au vieux. C'est vrai quoi ! Un candidat largué par sa meuf, ça pose mal en pleine campagne, l'a vit'fait d'passer pour un pauv'con eul'candidat ! Alors elle joue le jeu la craquante Cécilia. Pas très bien, en fait. Florence Pernel récite ses réplique comme une élève de vidéo-casting de province. Elle fait très bien la moue, par contre, et sait très bien chialer à la fin, on ne sait pas trop sur quoi, tandis que, la victoire consommée, toute la clique des joyeux drilles l'attend au Fouquets.
Bon, on sait dès le départ qu'il va devenir président, le p'tit Nicolas. Pas de surprise attendue de ce film qui n'en réserve aucune. Qui fait l'impasse sur les affaires en gestation, ou les survole à peine, sur les pressions, les menaces, les incidents, qui résume les addictions du futur Chanoine de Latran au chocolat fourré aux noisettes et aux cigares qu'il fume sans les avoir débarrassés de leur bague, et qu'il allume au moyen d'un briquet.
Denis Podalydès incarne un Sarkozy pathétique. Au contraire de Lecoq et Labarthe, il ne cherche pas outre mesure à ressembler à son personnage. Le parler saccadé, la voix mal posée, les défauts de prononciation, les mimiques sont bien là, les tics sont bien rendus, la gestuelle déstructurée terriblement fidèle. C'est un pantin que Podalydès incarne. Un pantin à la perruque mal fixée. Là encore, une caricature de caricature.
Manquent à cette métaphore christique maladroite (car à certains égards, cette "Conquête" ne veut-elle pas évoquer une "Passion" ?) les personnages secondaires par quoi le héros de l'histoire, la vraie, existe en tant que tel : Royal et Le Pen ne sont que suggérés, de même que Fillon et Borloo. Dati tient un rôle dont la discrétion déçoit un peu, au regard de ce qu'a représenté son personnage lors de la vraie campagne et au début du septennat.
Il y aura un film à faire sur le sarkozisme quand on en sera sortis. Un vrai film d'auteur, critique et sans concession, qui nous parlera du déclin d'un pays en perte d'identité, de sa régression dans un passé vieux de plus de quarante ans (l'avant 68 des Peyrefitte-Royer-Debré) recomposé sans ses mythes ni son apparente prospérité, et des figures de ce déclin, qui ne se bornent pas, hélas, à quelques caricatures. Mais le cinéaste français qui s'attellera à cette tâche n'est pas encore né, trop vieux pour s'y atteler, ou plus de ce monde. Un Yves Boisset métissé de Nanni Moretti, disons.
Pour l'heure, à la fin de ce film, on se dit que tant Chirac que Villepin et Sarkozy, je veux dire les vrais, ils auraient mieux fait, pour nous et sans doute pour eux, de se consacrer à une carrière d'acteurs de comédie. Ce en quoi ils auraient certainement excellé.