La première question qui vient à l'esprit en voyant Carnage est la suivante : " Pourquoi avoir fait ce film ? ". Question que l'on peut se poser deux fois, avec un sens différent pour chacune : pourquoi, comme Spielberg avec Tintin - et en attendant Scorsese ? - Polanski livre-t-il ce film mineur ? La réponse étant indécise puisqu'il s'agit d'un choix propre au cinéaste, il est préférable de se focaliser sur " l'autre " question. Soit, pourquoi adapter à l'écran ce qui à l'origine était une pièce de théâtre, sans lui apporter de véritable plus-value cinématographique ?
L'intérêt est mince, quasiment inexistant. Surtout au vu de la nature de l'oeuvre, de son unité de lieu, mais aussi de temps et d'action. Le cinéma a cet " avantage " sur le théâtre qu'il peut contextualiser de manière beaucoup plus précise ( à l'inverse, on peut cependant dire que le théâtre a l'avantage sur le cinéma de bien plus favoriser l'imagination du spectateur ). Mais dans le Carnage filmé par Polanski, l'impression laissée est que le septième art ne prend aucune avance sur le théâtre. Car à partir du moment où la pièce ne propose qu'un seul lieu, et donc un seul décor principal, quel est l'intérêt " spatial " propre au film ? D'autres pièces profitent de leur adaptation sur grand écran pour matérialiser ce qui, sur scène, ne peut être qu'imaginé et suggéré. Mais - je n'ai ceci dit pas vu la pièce de Reza - on se dit que chez Polanski le travail scénographique n'apporte rien de nouveau. Autrement dit, le décor théâtral se suffit à lui-même et le travail de mise en scène cinématographique est ici inutile. Bien sûr, le savoir-faire de Polanski empêche le film de n'être que du théâtre filmé, et le réalisateur polonais sait insuffler du rythme grâce à une science soignée du déplacement de caméra. Sans être gratuitement virtuose ( Béla Tarr m'entends-tu ), l'application du cinéaste est à la fois sobre et suffisamment sophistiquée pour ne pas plonger le spectateur dans l'ennui. Au niveau du rythme, le scénario lui-même est efficace dans sa manière d'alterner les moments de calme et les scènes d'une plus haute intensité. Malheureusement, c'est à peu près son seul point positif.
Simplement parce que le seul carnage du film se trouve dans son titre, et que le jeu de massacre annoncé tourne au règlement de comptes inoffensif. A l'image des reproches formulés à l'encontre du personnage de Penelope, on peut critiquer Carnage pour son hypocrisie et son côté bien-pensant empreint d'une tendance à se montrer moralisateur. Le film n'attaque que des conventions, des situations stéréotypes ( hommes contre femmes, civilisation contre barbarie...et évidemment une femme dont on vient de jeter le sac à main se met à pleurer ) sans trop de subtilité. Le problème n'est tant pas ce qu'il attaque que sa manière grossière de le faire. Il manque de la finesse à ce carnage, pas assez acide et mordant, trop gentillet. Donner à quatre acteurs talentueux et reconnus l'opportunité de se lâcher et de côtoyer le politiquement incorrect n'est en rien un gage de qualité. Le film ( la pièce pourrait-on dire, la différence est mince ) n'a pas l'atmosphère électrique que proposait Qui a peur de Virginia Woolf ?, film similaire déjà adapté d'une pièce en huis-clos qui voyait deux couples se déliter jusqu'à une extrême hystérie. Carnage a le défaut de ressembler à ses personnages, c'est un film bourgeois, qu'un rien ne choque et qui s'en contente, sans prendre la peine d'aller plus loin dans le jeu de destruction des conventions sociales. Ce qu'il reste du film, ce sont ses acteurs, tellement doués qu'ils sauvent le film de la déception. Le quatuor à l'écran est parfait dans le dosage des intentions de jeu, parvenant bien à maintenir l'équilibre pour être dans l'excès de l'émotion sans tomber dans le cabotinage. On aurait pu craindre un jeu trop exagéré et maniéré, mais l'interprétation est bien le seul élément du film qui ne copie pas trop le théâtre.