La société nous oblige bien souvent à porter des masques. Au travail, face à certaines situations délicates, on cache, volontairement ou non d’ailleurs nos sentiments réels. Quand deux enfants se battent, les parents de la « victime » et du « coupable » doivent eux aussi, garder ces fameux masques. Mais au fil des accusations, ce n’est pas toujours une chose aisée. Quand les visages se dévoilent, que se passe-t-il ? Jusqu’où iront-ils ? Et pourront-ils faire machine arrière ? A vous de le découvrir dans Carnage, un film réalisé par Roman Polanski avec un scénario de la dramaturge Yasmina Reza.
Cinéma et théâtre
Yasmina Reza est un nom bien connu dans le milieu théâtral français. Très productive, elle écrit beaucoup sur les milieux bourgeois et leurs retords. Ces textes mêlent souvent l’humour à la « dénonciation », comme dans Art, où l’art contemporain en prend pour son grade. Mais si ses écrits sont intéressants, il faut bien avouer que peu de metteurs en scène, elle la première, ont su retranscrire cet humour si corrosif développé dans ses textes. Peut-être fallait-il pour cela passer au cinéma ? C’est ce à quoi s’est risqué Roman Polanski avec Le dieu du Carnage, pièce de théâtre écrite en 2008. Quand l’auteure française rencontre l’univers si sombre et dérangeant du réalisateur, la rencontre est surprenante ! Contre toute attente, le mélange de la plume de Reza et l’ambiance de Polanski fonctionne à merveille, donnant à l’ensemble une dynamique et un genre nouveau. Peut-être parce qu’ils ont su tirer profit des atouts de leurs arts respectifs et les mélanger avec intelligence. Si l’écriture de Reza se plie au code du cinéma, Polanski se plie volontiers au code qu’on retrouve habituellement au théâtre. Dans ce cas précis, le huis clos. Un décor unique en effet pour ce film, à savoir un appartement en ville. Pas d’extérieur, pas d’ailleurs, qu’il soit temporelle ou spatiale, tout se joue dans un même lieu et dans un temps quasiment continu. Si le lieu unique est plus présent au théâtre, dû à ses contraintes propres de place et de temporalité, il devient très intéressant quand celui-ci s’applique au cinéma. Enfermés de la sorte, les passions des personnages se développent encore plus rapidement. Sans possibilité de s’échapper, la tension ne cesse alors de monter et de s’exacerber. Tout cela sous l’œil de la caméra qui parvient à capter chaque rictus, chaque haussement de sourcil révélateur de l’émotion ressentie par les personnages.
Des personnages hauts en couleurs
L’histoire est donc sur le papier plus que simple : deux couples de parents qui se rencontrent suite à une altercation entre leurs enfants respectifs. Une rencontre à priori banale, entre adultes bien élevés de la bourgeoisie newyorkaise. Mais les différences se tissent quand même doucement… Derrière la politesse, chacun juge l’autre, l’analyse, pour trouver ses failles. Et quand la politesse s’envole en fumée, il ne reste alors plus que la colère et la jalousie. Sur une heure et quart de film, ces quatre personnages se débattent pour garder leur image, ne pas dévoiler cette bestialité, ce dieu du carnage qui sommeille en eux. Mais doucement, le public assiste à leur chute. On rit, autant qu’on est fascinés par cette évolution si parfaitement retranscrite du fonctionnement social de l’humain. Quand ils sont joués par des acteurs tous très talentueux, Christopher Waltz, Jodie Foster, Kate Winslet et John C.Relly, on tombe encore plus sous le charme. Stéréotypés parfois, bien qu’ils le soient moins que dans les adaptions théâtrales, ces petits clichés attribués à chacun des personnages aide à l’identification de base de chacun, et permet ainsi de suivre plus clairement le chemin de leurs décadences.
Carnage est donc un film à voir pour s’amuser un peu de nous. Pour l’écriture des personnages et leur évolution toujours fluide et cohérente tout au long du film. Pour l’ambiance, entre tons graves et humour, donnant à l’ensemble un ton corrosif et décapant, qui ne mâche pas ses mots sur la bourgeoisie newyorkaise. Carnage est un film qui nous fait savourer l’hypocrisie, et qui nous emmène ––grâce à ces excellents comédiens – dans une décadence dont on ne sait jamais où elle va s’arrêter. Un seul mot : jouissif !