‘’Stagecoach’’ est probablement l’un des films les plus importants de la première moitié du XXème siècle. Grâce à lui, deux hommes vont accéder à la notoriété. Simple aphorisme pour dire que ces deux hommes deviendront deux monstres sacrés du cinéma, deux myhes qui à eux seuls sont des incarnations vivantes des Etats-Unis. Ces hommes, ceux sont bien évidemment l’acteur John Wayne et le réalisateur John Ford (on peut aussi ajouter le grand scénariste complice du réalisateur Dudley Nichols). Le film marqua un tournant en relançant la mode du western, genre qui sera au coeur de la plus belle période de l’histoire du cinéma : l’âge d’or hollywoodien des années 40-50.
Les temps sont troublés : le chef apache Geronimo est sur le sentier de la guerre. Plusieurs personnes embarquent à bord d’une diligence pour un périple au coeur de l’ouest sauvage : une prostituée, un docteur alcoolique, un représentant en whisky, une lady, un joueur de poker professionnel, un banquier, un shérif et le conducteur. Ils sont rejoints par Ringo Kid, un hors-la-loi évadé de prison, qui cherchera à venger la mort de son père et de son frère.
Il y a toujours eu chez les cinéphiles américains un duel acharné entre les fans de John Ford et les fans d’Howard Hawks. Aujourd’hui encore, on trouve des chapelles de cinéphiles qui défendent soit l’un soit l’autre. Entre un Clint Eastwood digne héritier de John Ford (comment ne pas penser à ce dernier en voyant le beau ‘’Josey Wales’’?) et un Tarantino, grand admirateur de Howard Hawks, mais peu intelligent dès qu’il critique violemment Ford, on comprend que ce duel n’est pas prêt de s’éteindre. Cela est d’autant plus incongru qu’accepter de défendre l’un des deux réalisateurs signifierait ne pas aimer l’autre ? Comment ne pas aimer Hawks ? Comment ne pas aimer Ford ? Comment rejeter ce cinéma si attachant, si amical, si profond, si humaniste ? ‘’Stagecoach’’ est donc le film qui a permis à Ford de s’imposer comme l’un des réalisateurs majeurs de cette époque. Il réalise déjà un chef-d’oeuvre, bien avant les piliers que sont ‘’La prisonnière du désert’’ (1956) et ‘’L’homme qui tua Liberty Valance’’. Dès ce film, tout est parfait, Ford fait du Ford et il a raison tant son cinéma est délicieux. Qu’est ce que la magie John Ford ? Déjà, il est difficile de ne pas apprécier ce réalisateur tant il est capable d’offrir un cinéma fédérateur, qui peut satisfaire tout le monde. Il ne s’agit pas tellement d’alterner des films de différents genres (comme sait si bien le faire Howard Hawks) mais plutôt d’alterner les registres au sein du même film. ‘’Stagecoach’’ n’échappe pas à cela tant il offre une richesse et un panel d’émotions extrêmement varié, et ce malgré sa courte durée (1h30) : on rigole, on jubile, on frissonne, on pleure… sans que cela ne fasse forcer (l’efficacité américaine dans toute sa splendeur). Donc, qu’est-ce que ‘’Stagecoach’’ ? Abordons d’abord l’action du film. Ford a toujours été un immense maître dès qu’il s’agissait de filmer l’action, même si ce composant est au demeurant très négligeable dans son style. Malgré tout, si Ford est un réalisateur qui s’intéresse d’abord à l’humain, tous ses films s’envolent dans les airs grâce à cet incroyable souffle épique qui traverse toute sa carrière. Popularisant la Monument Valley (le John Ford point), le réalisateur se libère d’une certaine artificialité hollywoodienne grâce à ces somptueux paysages et décors naturels. Ajoutez que l’action est superbement découpée avec cette simplicité qui fait la force du réalisateur (un simple et brusque mouvement caméra pour révéler la présence des Indiens). Mais cet élément ne peut occuper plus longtemps l’écran avec Ford (souvent, ces films n’offrent qu’un seul grand moment de bravoure). L’action est réduite à son stricte minimum : par exemple, Ford ne filme pas le duel final (au contraire d’un Fred Zinnemann dans ‘’Le train sifflera trois fois’’). Ford aime avant tout s’intéresser à des microcosmes, à de petites sociétés, à des ‘’milieux’’ et à ses habitants. Qu’il s’intéresse à la cavalerie, aux Irlandais, aux Indiens, Ford prend toujours son temps pour décrire des tranches de vie. Bon, ok on est pas dans du cinéma social français des années 2000. pourtant, Ford aime se pencher sur le quotidien des gens, quitte à mettre l’intrigue en suspens (on le verra avec ‘’My darling Clementine’’ où l’intrigue et l’action ne commencent… que dans le dernier quart d’heure du film!). Au sein de ce petit monde, Ford aime peindre des portraits généreux d’hommes et de femmes attachants (bons comme mauvais). Dans ‘’Stagecoach’’, Ford s’intéresse aux membres de la diligence dans le but de faire une typologie des profiles américains de cette époque. Cela permet au metteur en scène (en 1h 30 ! il faut insister!) de faire de ‘’Stagecoach’’ un film incroyablement consistant grâce à ses personnages. Chaque personnage sent le passé,le vécu ; chacun est exploré, profond... Souvent considéré comme une adaptation de la nouvelle ‘’Boule de suif’’ de Maupassant, ‘’Stagecoach’’ semble opposer de façon binaire les aisés aux ‘’moins que rien’’. La lady, le banquier et le joueur de poker vont évidemment snober la prostituée, le bandit et le médecin alcoolique. Mais Ford n’est pas aussi pessimiste que Maupassant : ces figures qui peuplent son cinéma sont capables de progrès et d’évoluer. La lady et le joueur de poker le comprendront et sauront reconnaître ces plus modestes personnes à leur juste valeur. Quant au banquier, c’est une figure entièrement condamnable. Mais l’habilité de Ford n’est pas d’entrer entièrement dans un bête rapport riches/ pauvres. Le reste de la diligence est là pour éviter que tous les héros ne soient réduits à leur condition sociale. Entre un shérif lucide et héroïque que Dudley Nichols a l’intelligence de ne pas en faire son personnage principal, un chef de diligence marié à une Mexicaine, on retient aussi le très curieux représentant de whisky. Il s’agit de Monsieur Tout le Monde avec des qualités que tout le monde peuvent avoir et des défauts que tout le monde peuvent avoir également. Ni mauvais, ni héroïque, il ne participe jamais à l’action mais enrichit la nature des personnages présentés ‘’Stagecoach’’.
Mais assez parler de Ford. ‘’Stagecoach’’ est grand et important pour le cinéma. Il a révélé Ford mais aussi John Wayne. Dans ce film, Wayne est déjà fidèle à lui-même : s’il interprète un voyou, Ringo est brave, courageux, juste et aussi en quête de vengeance. Pourtant… Wayne n’est pas encore ce rouleau compresseur qui écrase tout ce qui l’entoure. Peut-être parce qu’il n’est qu’un des nombreux personnages principaux du film, Wayne dans le film n’est qu’un des excellents acteurs qui peuplent ce film. On retiendra notamment Thomas Mitchell (oscarisé à juste titre pour ce rôle). Etonnant, Mitchell incarne avec justesse ce rôle pas forcément facile à jouer sans tomber dans la caricature. Il fallait parvenir à passer de clown alcoolique (le comique de service) à noble docteur. Thomas Mitchell le fait et on se souviendra bien davantage du personnage du docteur que de Ringo. John Wayne n’est donc pas encore ce qu’il sera plus tard.
Difficile donc de rejeter John Ford. Comment mettre de côté non pas un simple réalisateur, mais une légende ? Humaniste, chaleureux et attachant, le cinéma et l’homme qu’incarnait John Ford n’ont sans doute jamais eu d’équivalent dans le reste de l’histoire du cinéma. Il restera à jamais le réalisateur d’une certaine forme d’optimisme et d’une époque : celle de l’Ouest et de ses peuples (cavalerie, cow-boy, immigrés, indiens…). Jamais comédie humaine au cinéma ne fut aussi vivante.