Œuvre baignant dans la mythologie américaine mais à l’identité irréductiblement espagnole, Blackthorn prend quelques licences avec la grande Histoire en imaginant un Butch Cassidy vieillissant, réchappé de la tuerie de San Vincente et coulant des jours paisibles dans une ferme bolivienne. La subversion s’arrêtera là, puisque, loin de la distanciation ironique de certains avatars post-modernes, le film de Mateo Gil témoigne d’un grand respect envers le genre qui lui sert de cadre, d’une soif de cinéma revigorant qui n’est pas sans rappeler celle d’un Kevin Costner. Démarrant comme une chronique mélancolique, « Blackthorn » dérive ensuite vers le pur film de chevauchée, dans la tradition du genre, traversée de grands espaces. L’un deux, un splendide lac de sel asséché, est le théâtre d’une course contre la mort lancinante et asphyxiée, où se révèleront les caractères de chaque personnage. En faisant endosser le rôle de l’ancien mercenaire à Sam Shepard, comédien incontournable qui trimballe avec lui tout un fragment de l’Ouest américain, Mateo Gil confirme sa volonté de s’emparer à bras le corps de grandes figures mythologiques, tout en les croisant et en les associant à son propre cinéma ibérique. C’est ainsi le ténébreux Eduardo Noriega, acteur fétiche de cette génération montante de cinéastes (« Ouvre les yeux », « L’Échine du diable »), qui fait face à Shepard en jeune bandit aux dents longues. Tous deux, contraints de faire équipe dans l’adversité, semblent reformer le tandem d’antan (Butch Cassidy et le Kid), improvisent au vieux loup une sortie de scène et apprennent progressivement à s’apprivoiser. Le faux buddy-movie tourne au choc des générations : si Shepard figure un "ancien temps" droit dans ses bottes, attaché à des valeurs de loyauté, son compagnon se révèle plus cupide, assoiffé d’argent et d’individualisme, davantage inscrit dans l’ère industrielle naissante. Cette confrontation de deux époques est un lieu commun du western, déjà largement exploité par Peckinpah ou par Sergio Leone, mais que Gil négocie plutôt bien grâce à un scénario acrobatique qui ménage les rebondissements et les twists. Le voyage initiatique, commencé sous les auspices positives de l’amitié (chaque protagoniste a à apprendre de l’autre), se termine ainsi sur une note inattendue, plus amère, frayant avec la critique sociale (l’exploitation des Indiens).
La mise en scène de Mateo Gil, classique mais souvent somptueuse, magnifie les décors tout autant que les rapports humains. Parfois d’une réelle ampleur, elle confirme le film dans sa qualité de spectacle à l’ancienne, modeste et fait avec soin, guidé par la passion. La déférence du réalisateur envers ses classiques ne va pas, il faut bien le dire, sans une certaine frilosité, qui l’empêche régulièrement de décoller vers les cimes élégiaques qu’il semble convoiter. Les (nombreuses) scènes de flash-back, retraçant la jeunesse de Cassidy et son amitié avec le Sundance Kid, accusent ainsi leur allégeance au film culte de George Roy Hill, mais sont aussi les plus faibles du métrage. Davantage concluant dans son versant "présent", soutenu par une paire d’acteurs aux univers différents mais en parfaite alchimie, « Blackthorn » teinte sa noirceur crépusculaire de couleurs plus ouatées, son pessimisme de doux désenchantement, sa dureté rêche d’un peu de baume et de coton. La voix rocailleuse de Shepard, chantonnant une ballade dans le générique de fin, résonne alors comme un délicat requiem, celui d’une époque révolue et d’une amitié manquée.