Il a été choisi pour redonner une nouvelle jeunesse au plus célèbre des titans du Japon. Après l’hécatombe du film de Roland Emmerich, les Américains ne veulent décidément pas lâcher l’affaire, au point de se risquer dans une nouvelle tentative de livrer un Godzilla avec les moyens du bord. Lourde tâche pour Gareth Edwards, qui, pour ce job, a été choisi par les producteurs pour avoir réalisé Monsters en 2010. Sorte de Kaiju eiga occidental et indépendant, mis sur pieds avec un budget de seulement 500 000 dollars. Retour donc sur ce long-métrage qui a permis à Edwards d’obtenir la confiance de la Warner !
Succès surprise, Monsters n’a, sur le papier, pas grand-chose de bien original à offrir. Il se présente même comme le semblant d’un blockbuster à effets spéciaux, le budget pharaonique en moins. Et pour cause, le film nous place dans un futur très proche (à tel point que cela pourrait être aujourd’hui), où les États-Unis et le Mexique sont séparés par une immense région, une zone infectée, où a élu domicile une espèce animale extra-terrestre. Plus précisément, le long-métrage suit le parcours de deux Américains qui tentent de rentrer au pays, se retrouvant obligés de devoir passer par cette fameuse et dangereuse zone en quarantaine. Un scénario typiquement hollywoodien, diriez-vous ! Où le but de nos deux aventuriers (appelons-les ainsi) n’est qu’un prétexte pour servir un divertissement spectaculaire. Avec des monstres énormes (on parle par moment d’une centaine de mètres de haut). Et surtout un début qui reflète grandement ce constat (intervention militaire, sous l’air sifflé des Walkyries, à la Apocalypse Now). Faux !
À regarder les interviews du réalisateur, il ne semble n’avoir eu d’yeux que pour ses créatures (le temps de leur conception, de leur look, de leur crédibilité à l’écran…). Une obsession allant jusqu’au titre, qui les met littéralement sur le devant de la scène. Et pourtant, des monstres, vous n’en aurez qu’à partir de la 50ème minute (sur 1h34 de film), hormis un qui pointe le bout de son nez durant les premières secondes. Que raconte alors le film, dans ce cas ? Tout simplement la relation naissante entre notre héros (un journaliste célibataire désirant passer du temps avec son fils une fois rentré au pays) et la fille de son patron en instance de fiançailles (qu’il devra ramener aux États-Unis). Quoi, une banale histoire d’amour ? Eh bien oui ! Mais au combien touchante et crédible !
Si j’ai insisté sur le statut célibataire/fiancée, c’est que cela apporte beaucoup aux personnages. Rendant leur idylle quasi impossible et donc au combien bouleversante. De voir ces deux personnes s’attacher de la sorte alors qu’ils vivent des heures plutôt tendues (à devoir faire attention à leur environnement, voir si aucun monstre ne surgisse avec fracas). Il est vrai que le scénario prend son temps en séquences que l’on pourrait qualifier d’inutiles (tournée des bars en soirée, discussions sur leur situation familiale respective…). Mais le tout se montre suffisamment attrayant pour que l’on s’intéresse avec facilité à ce couple vedette (le choix des acteurs y est également pour quelque chose). Voir ces deux personnes se chercher mutuellement alors que tout autour d’eux semble désespéré, cela nous fait sortir des clichés habituels du genre (« à la fin, on s’embrasse et on est heureux pour toujours »). De gros archétypes sont également éviter dans d’autres thématiques du film, comme celle de l’Amérique en tant qu’État puissant (le film ne se finit pas « nous sommes à la frontière des États-Unis, tout s’arrange ! », mais plutôt « nous sommes à la frontière des États-Unis et ce n’est pas mieux ! »).
Niveau mise en scène, Monsters surprend également sur ce terrain-là. Car Gareth Edwards reste sur le postulat de ne se concentrer que sur le couple vedette. En filmant à la manière de Neill Blomkamp sur District 9 (du moins, lors de la seconde partie du film de ce dernier). C’est-à-dire en restant à hauteur de ses héros. De ne jamais les quitter pour aller filmer autre chose. L’exemple le plus flagrant étant un convoi de mercenaires attaqué par l’une des créatures : les mecs armés ont beau s’activer devant le monstre, la caméra reste dans le van avec nos deux protagonistes, observant la scène à travers la vitre. De ce fait, nous restons proches des héros du début jusqu’à la fin. Sans oublier que par moment, la mise en scène de Gareth Edwards fait preuve d’ingéniosité, en arrivant à faire monter la tension (avec des bruitages bien placés, le manque de musique, les plans) là où des gros films d’horreur n’arrivent même pas à atteindre ce niveau d’angoisse.
Et qu’advient-il des monstres dans tout cela ? Eh bien, au final, Edwards a eu la judicieuse idée de ne pas s’y intéresser comme il le laissait entendre. Et pour cause, le réalisateur a eu beau les peaufiner pour les rendre convaincants, notamment en insistant bien sur le fait qu’il ne s’agisse que d’animaux et non de créatures qui détruisent tout par plaisir (sans compter qu’ils peuvent se montrer hypnotisants via la bioluminescence et la splendide musique de Jon Hopkins qui les accompagne), ils ne sont pas vraiment crédibles. À cause de leur apparence incertaine et des effets visuels mitigés (en même temps, vu le budget, nous n’allons pas jeter la pierre !). Qui gâche un peu cet univers crédible créé par Gareth Edwards. Avec son lot de ruines (bien plus convaincantes que les monstres) et des épaves disséminées ça et là.
Car si Monsters a marché, c’est grâce à cette crédibilité qui le caractérise (en plus de cette romance qui ne flirte jamais avec le rose bonbon). Et on comprend du coup pourquoi Gareth Edwards a été choisi pour faire renaître Godzilla : avec seulement 500 000 dollars, il a réussi à donner une âme à un film de monstres, en préférant s’intéresser à ses personnages plutôt qu’à l’univers sur lequel il aurait pu se reposer. Alors imaginez ce qu’il peut faire avec plus de moyens et l’un des monstres les plus mythiques du cinéma !